Entretien croisé avec Juliette Louis-Servais et Adil El Ouadehe
Agir sur les déterminismes dès le plus jeune âge, déconstruire les stéréotypes et renforcer le pouvoir d’agir des enfants et des jeunes sont les 3 objectifs prioritaires du collectif d’action Nouvelles générations initié par la Fondation de France. Entretien avec Juliette Louis-Servais, responsable grande cause Enfance, Jeunesse et Education à la Fondation de France, et Adil El Ouadehe, directeur technique national adjoint de l’UFOLEP et membre du comité stratégique du collectif d’action Nouvelles générations.
Pourquoi avoir choisi ces axes d’action prioritaires ?
Juliette Louis-Servais : Prévenir les inégalités dès la petite enfance, puis notamment à l’école, prévenir toutes les formes de violence, de harcèlement et d’isolement en créant des espaces de dialogue, accompagner la découverte du monde, le développement de l’esprit critique et soutenir l’engagement des jeunes sont des enjeux indispensables pour permettre aux nouvelles générations de devenir des citoyens épanouis, actifs et responsables. Les causes du décrochage scolaire, de l’anxiété, de l’isolement des jeunes, ou encore les phénomènes de violence chez les adolescents trouvent souvent leurs racines dans l’enfance, voire la petite enfance. La parentalité et le rôle des adultes sont alors déterminants. C’est pourquoi le collectif d’action Nouvelles générations envisage le parcours des enfants de façon globale, du plus jeune âge à l’autonomie des jeunes, en incluant toutes les personnes qui les entourent, familles et professionnels.
Comment agit le collectif d’action ?
Juliette Louis-Servais : Le collectif d’action est une nouvelle façon d’agir initiée par la Fondation de France pour renforcer les coopérations avec d’autres acteurs et renforcer l’impact des actions menées. Notre comité stratégique définit et valide les priorités et grands axes d’intervention du collectif. Des coalitions spécialisées prennent ensuite le relais sur des sujets plus spécifiques, comme la petite enfance. Aujourd’hui, notre comité stratégique est composé de 13 membres, dont plusieurs représentants de fondations abritées, comme les Fondations JM Bruneau et 29Haussmann, de porteurs de projets, de jeunes, de membres du comité « Enfance Education » mais aussi issus d’autres comités d’experts bénévoles de la Fondation de France. C’est ainsi qu’Adil, membre depuis 15 ans de différents comités liés au sport, à l’éducation, à l’insertion et l’égalité, nous a rejoints.
Quel regard portez-vous sur ce nouveau mode d’action collective ?
Adil El Ouadehe : Le collectif réunit des acteurs très divers et complémentaires, en termes de métiers, d’expertises, d’exigences, de classes d’âge, de regards. Cela en fait un espace de réflexion et d’intelligence collective très riche. Chacun est libre d’apporter son point de vue nourri par son expérience, de partager ses points d’exigence, de vigilance… avec comme finalité commune la recherche de résultat et d’impact. Depuis que je suis engagé auprès de la Fondation de France, j’ai constaté cette volonté de développer toujours plus de transversalité et d’innovation dans les modalités d’agir : les collectifs d’action en sont l’incarnation la plus aboutie.
Comment sélectionnez-vous les projets accompagnés par le collectif d’action ?
Juliette Louis-Servais : Nous procédons à la fois par appels à projets sur certaines thématiques et territoires, et par identification directe d’initiatives par les membres du comité, les partenaires et les équipes de la Fondation de France au siège et au sein des fondations régionales. Nous avons soutenu environ 80 projets en 2024 et 100 en 2025. Ces projets répondent à un ou plusieurs de nos axes d’action prioritaires, qu’ils se situent au niveau local, régional, national ou international. Nos critères de sélection sont également transversaux, pas uniquement thématiques et opérationnels : le fait d’agir « à la racine » des causes, la capacité à coopérer avec d’autres partenaires, à impliquer toutes les parties prenantes (jeunes, familles, acteurs publics…), le mode de gouvernance… Nous sommes particulièrement attentifs à la dimension transformative des initiatives.
Adil El Ouadehe : Dans la sélection des projets, je suis très focalisé sur la question du « comment ? », c’est-à-dire sur la manière dont les associations mettent en œuvre leur engagement pour répondre aux priorités d’action définies. Par exemple, il est important d’apporter de l’innovation mais aussi de savoir reprendre des choses qui ont bien fonctionné dans le passé. La façon dont est organisée l’association en dit également long sur la manière dont elle va déployer ses actions. Il est donc essentiel qu’elle soit solide et qu’elle reprenne les fondamentaux structurels de la vie associative. Dans le type de structures que nous soutenons, il faut notamment veiller à ce que les personnes concernées, en l’occurrence les jeunes, soient intégrés quasi systématiquement à la gouvernance et aux décisions stratégiques de l’association.
Au-delà du soutien financier, quels sont les dispositifs d’accompagnement proposés par le collectif d’action ?
Juliette Louis-Servais : Nous souhaitons mettre en place un dialogue régulier avec les associations, afin de les accompagner au mieux dans le déploiement de leurs actions. Les membres du comité stratégique s’impliquent avec nous dans ce suivi, ce qui est très précieux. Notre objectif est de tisser un lien de confiance et de coopération sur la durée. Nous proposons également de plus en plus aux associations des financements pluriannuels pour leur assurer une réelle sécurité avec un accompagnement dans la durée, une condition essentielle pour développer des solutions efficaces.
Pouvez-vous donner quelques exemples d’initiatives soutenues ?
Adil El Ouadehe : Nous soutenons par exemple l’association Coexister . Sa mission est de développer l’ouverture d’esprit des jeunes de 15 à 30 ans en créant des espaces de dialogue inter-religieux dans plusieurs villes françaises et à l’international. Ou encore l’association Destins liés qui permet à des jeunes, en particulier ceux en situation de précarité ou issus des quartiers populaires, de s’entraider et se former afin de développer les ressources et le leadership nécessaires pour porter leurs idées. Je pense enfin à l’association Camplus qui organise des séjours de vacances pour les jeunes collégiens et lycéens des quartiers populaires sur des thématiques de citoyenneté.
Juliette Louis-Servais : Le collectif d’action accompagne de nouvelles initiatives mais également des structures plus anciennes, parfois déjà soutenues depuis plusieurs années par la Fondation de France, de façon plus structurante. Je pense notamment à certains projets sur la petite enfance, comme celui de l’association Papoto (PArentalité POur TOus), qui agit pour rendre accessible à tous, en particulier aux familles les plus vulnérables, les connaissances scientifiques et pratiques ajustées aux besoins du jeune enfant. Le collectif d’action s’est engagé également aux côtés d’acteurs « clés de changement » identifiés par le programme Inventer Demain dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse. L’association Les Cités d’Or par exemple, soutenue pour son action auprès des jeunes dans les zones péri-urbaines de Lyon et qui se développe aujourd’hui dans d’autres régions ; ou encore l’association EcolHuma, qui agit aux côtés des enseignants pour donner les meilleures chances à tous les élèves.
Quelles sont les prochaines étapes pour le collectif d’action Nouvelles générations ?
Juliette Louis-Servais : Maintenant que le comité stratégique est constitué et que nos dispositifs de soutien sont en place, nous allons mettre en place progressivement des coalitions spécifiques sur des thématiques plus précises, notamment pour faciliter la sélection de projets et accueillir des fondations abritées plus spécialisées sur certains sujets ou publics. Une première coalition s’est formée autour de 3 fondations engagées pour la petite enfance. En 2026-2027, nous souhaitons renforcer nos actions sur l’orientation et l’accès à la formation des jeunes. Enfin, un comité scientifique se structure et nous permettra de soutenir également la production de connaissances et des recherches sur la reproduction des déterminismes et inégalités scolaires notamment.