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« Le féminisme est le nouvel humanisme »

Bouchera Azzouz est documentariste, essayiste et militante féministe. Elle a écrit Fille de daronne et fière de l’être, ainsi que Les Femmes au secours de la République, de l’Europe et de la planète, avec Corinne Lepage. Le dernier documentaire de sa trilogie consacré aux femmes des banlieues, Meufs de la cité, vient de sortir. Elle nous partage sa vision de la philanthropie.

Sur la question des femmes (inégalités de genre, lutte contre les violences), que peut la philanthropie selon vous ?

La philanthropie est nécessaire dans toutes les sociétés pour soutenir les politiques d’égalité, de justice sociale, de santé et de promotion de l’émancipation dans toutes ses dimensions. Il y a un double enjeu : agir de la manière la plus efficace, mais aussi influencer les pouvoirs publics quant aux domaines à investir. Cette philosophie, qui met au cœur de la société l’intérêt « humain », pose comme principe que chacun ne peut s’épanouir que s’il est artisan d’une société plus juste. Philanthropie n’est pas charité, elle va bien au-delà de donner pour donner. L’engagement individuel au service du collectif, l’intérêt général au-dessus des intérêts particuliers. Chacun, animé par des valeurs humanistes, se pense comme responsable du projet de société.

La philanthropie peut et fait beaucoup dans nombre de domaines, en particulier celui des femmes. On ne saurait œuvrer pour l’égalité sans s’atteler à la première des inégalités, l’inégalité de genre, qui engendre intrinsèquement des violences à l’égard des femmes parce que femmes.

La philanthropie doit être capable de remettre le sujet féminin au centre de l’intérêt de la société, comme elle mit au cœur de son action « l’humain » quelques siècles plus tôt, au cours des Lumières. Le féminisme est le nouvel humanisme.

S’il y a un investissement massif en matière de lutte contre le sexisme et contre les violences, il ne faut pas négliger de réfléchir en termes de domination, parce qu’elle est à l’origine de tout.

Quels sont les domaines prioritaires à investir ?

Si on réfléchit en termes de domination, il me semble qu’il faut concentrer l’action dans tous les domaines où les femmes sont en situation d’infériorité, et donc mises en situation de faiblesse. Car c’est à ce moment-là que la domination bat son plein, que les inégalités s’accroissent et que les violences augmentent, particulièrement en temps de crise. L’autonomie financière est un sujet central. Et donc, l’accès à l’emploi, aux formations, à la création d’entreprise, mais aussi l’investissement dans le numérique et dans l’économie durable, où se concentrent les plus grandes progressions d’emplois à pourvoir dans les années qui viennent. On ne peut pas penser l’égalité d’aujourd’hui et de demain, avec le logiciel du monde d’avant. Dans une société en profonde mutation, il faut anticiper, faire de la prospective, lutter aujourd’hui contre les inégalités de demain.

Le premier levier dont dispose la philanthropie, c’est sa puissance. La philanthropie permet de parer à l’urgence sociale, surtout dans les domaines en tension, comme celui des femmes et des violences. Ce qu’on observe, c’est que les dons privés sont nombreux mais dispersés dans leur affectation. Une meilleure analyse permettrait très certainement de gérer plus efficacement les fonds en les fléchant, par exemple vers le logement, l’accès à l’emploi, l’autonomisation des femmes, sans oublier l’accompagnement renforcé des enfants, dommages collatéraux et angle mort des actions en direction des femmes, dont on oublie qu’elles sont souvent en situation de monoparentalité et de précarité.

La philanthropie comme l’État doivent se voir comme des partenaires dans la co-construction d’actions ciblées avec une réelle exigence d’efficacité.

Pendant la crise sanitaire, la question des violences faites aux femmes a été en première ligne, avez-vous en tête des actions particulièrement exemplaires qui ont été déployées pour leur venir en aide ?

Je pense plutôt à un acte qui illustre à quel point nous avons définitivement changé de monde. Pendant la crise sanitaire, Le Parisien a titré en Une « Ils racontent le monde d’après » avec quatre hommes et aucune femme.

La crise sanitaire a mis en évidence une contradiction majeure de notre société. Les femmes sont sur tous les fronts, mais quand il s’agit de penser la société post-covid, elles sont mises à l’écart. Sur les plateaux télé, les femmes expertes sont peu nombreuses. La place et la représentation des femmes dans les médias, bien qu’étant un sujet discuté depuis de nombreuses années, s’est imposé comme un sujet majeur de la question de l’égalité. C’est certainement un des « bienfaits » de ce loupé du Parisien. Il aura permis de souligner qu’aucun contexte, pas même une crise de cette ampleur, ne peut justifier que les femmes soient invisibilisées ni infériorisées.

La cause des femmes est pourtant de plus en plus médiatisée, n’y voyez-vous pas une évolution positive ?

Le seuil de tolérance de la société est en effet très largement abaissé en matière de sexisme et on voit nettement se dessiner de nouvelles dynamiques de soutien aux femmes, et en particulier une jeunesse très engagée sur des sujets peu investis par leurs aînées. Une multitude d’associations fleurissent. On sort de la question stricto sensu des violences pour investir la question de la précarité menstruelle, ou la revendication d’inscrire le clitoris comme organe du plaisir féminin dans les livres scolaires, ou encore les questions environnementales. On voit se développer des podcasts sur ces sujets ; même l’INA investit les réseaux sociaux pour réhabiliter les femmes dans l’histoire, rafraîchir nos mémoires pour mesurer le chemin parcouru. On réalise alors, dans ce bouillonnement d’actions et d’engagements, que les femmes sont autant un sujet social que les actrices du monde qu’elles veulent voir émerger.

Au-delà des droits des femmes, quels autres domaines prioritaires la philanthropie doit-elle investir ?

Le débat public est depuis plusieurs décennies crispé autour de la question des banlieues, des quartiers, des cités. Séparatisme, communautarisme, islamisme, djihadisme, radicalité, bandes rivales… pléthore de mots pour évoquer un mal profond qu’on ne sait pas nommer précisément, parce qu’on est loin de faire la bonne analyse.

La philanthropie a un rôle fondamental à jouer pour mieux cerner ces maux et nous aider à retrouver notre équilibre, notre cohésion sociale.

La jeunesse défavorisée, qu’elle soit des quartiers, des zones rurales ou péri-urbaines, a besoin d’aide. Comme l’ont fait, au lendemain de la guerre, les Francs et Franches camarades, la Ligue de l’enseignement et les Éclaireurs de France, la question que nous devons nous poser collectivement est simple : comment accompagner nos enfants, leur donner accès à l’éducation, comment les aider à forger leur esprit critique, comment leur assurer les moyens de leur émancipation en levant tous les déterminismes qui pèsent sur eux ?

La société se conduit avec eux comme de mauvais parents. On les laisse seuls, en leur donnant des distractions pour les occuper, troquant la paix pour un temps jusqu’au moment où on se rend compte qu’ils ont poussé comme des herbes folles et il est alors trop tard.

La philanthropie est capable de cet effort de réflexion pour actionner les bons leviers. Selon l’observatoire des inégalités, chaque année en France, plus de 200 000 jeunes sont en décrochage scolaire. 48 % des décrocheurs ont un père ouvrier, contre 5 % un père cadre supérieur. Quarante mille jeunes quittent le système scolaire chaque année sans aucune qualification, avec au mieux le brevet des collèges et 140 000 sans diplôme. Comment peut-on penser que dans ce contexte, ces jeunes ne tombent pas dans la facilité des théories du complot ? Comment peut-on penser qu’ils sont assez armés pour faire la différence entre une fake news et une information fiable ? Comment espérer que ces jeunes ne se laisseront pas embrigader par des charlatans pseudo-religieux ?

Investir sur le champ de la jeunesse, c’est consolider la République, en garantissant à chaque enfant un idéal et les moyens d’y parvenir.

En tant que militante et figure du féminisme, quelle est votre plus grande satisfaction ?

Je n’ai pas encore de grande satisfaction, parce qu’il ne faut s’enorgueillir de rien et continuer inlassablement à œuvrer en se disant que ce qu’on fait n’est jamais assez. Mais il est vrai que lorsque que je me déplace bénévolement dans les collèges et lycées de France et que j’arrive dans une classe où les murs sont tapissés des travaux des élèves réalisés en amont de mes interventions et qui font référence à mes films et mes livres, je me dis que tout cet investissement n’est pas vain. Apporter sa pierre à l’édifice et faire sa part comme le colibri, ça n’est pas une satisfaction, mais la source de ma motivation à poursuivre l’effort.

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