« Partout dans le monde, la situation des femmes demeure fragile »
Chékéba Hachemi a été la première femme diplomate afghane. Elle a fondé l’association Afghanistan Libre, qui a pour objectif de favoriser l’éducation des filles et l’autonomisation des femmes afghanes. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, elle revient sur son parcours de femme engagée.
- Vous avez créé il y a 25 ans l’association Afghanistan Libre qui agit en faveur de l’éducation des filles afghanes… D’où vous vient votre engagement ?
J’ai quitté l’Afghanistan à 11 ans pour la France. J’y ai appris le français, ai eu la chance de faire des études, mais l’envie de retourner en Afghanistan pour aider celles qui étaient restées ne m’a jamais quittée ! À l’époque, je pensais qu’il fallait être médecin pour être utile, puis j’ai compris à travers mon propre exemple que je pouvais aider autrement : grâce à l’éducation. Quand les talibans sont entrés dans Kaboul en 1996, j’ai fondé à Paris l’association Afghanistan Libre, et j’ai commencé à dénoncer le sort des femmes afghanes, à créer des écoles sur place, d’abord clandestines, puis avec le soutien du commandant Massoud. Son soutien a beaucoup aidé à la reconnaissance de la place des femmes, et de l’importance de l’éducation des filles.
Après la chute des talibans, j’ai eu une carrière de diplomate à Bruxelles puis de conseillère du vice-président afghan à Kaboul ; en parallèle, je n’ai jamais cessé d’œuvrer pour les femmes et filles afghanes.
Cet engagement donne du sens à ma vie. S’engager, se tourner vers l’autre fait du bien. J’ai la chance d’être du « bon côté de la planète » ; ma fille aurait pu naître à Kaboul ou à Panzi et elle n’aurait pas eu les mêmes droits qu’ici. Nous sommes tous concernés par ce qui se passe en bas de chez nous mais aussi au bout de la planète.
- Pourquoi la question de l’accès à l’éducation des filles et la lutte pour l’égalité femmes-hommes sont-elles selon vous aujourd’hui des causes majeures ?
L’éducation est fondamentale : tout change dès lors que l’on donne accès aux savoirs. Sans éducation, on ne peut rien faire ! C’est une véritable arme, qui permet d’ouvrir les yeux des citoyens sans faire la révolution. En apprenant à lire, à écrire, les filles sont en mesure de décider seules de ce dont elles ont besoin.
Beaucoup d’actions concourent à favoriser l’égalité : j’ai par exemple réussi il y a quatre ans à instaurer l’inscription à l’état civil des petites filles afghanes – une mesure essentielle pour lutter contre les mariages des enfants. Jusqu’alors, l’âge des filles n’étant pas officiel, elles pouvaient être mariées très jeunes. Détenir une Tazkira, la pièce d’identité nationale, est également indispensable pour passer l’examen d’entrée à l’enseignement supérieur. Sans ce précieux sésame, les jeunes filles ne pouvaient étudier.
Il ne faut jamais oublier que partout, la situation des femmes demeure fragile. Ainsi, quand les Russes ont quitté l’Afghanistan, l’une des premières questions qui a été posée était : faut-il mettre un voile à la speakerine ? Les acquis les plus fondamentaux peuvent être remis en question, en Afghanistan mais aussi dans les pays occidentaux. Prenez par exemple le droit à l’avortement !
En France, la représentation des femmes en entreprise et dans les médias est également un sujet majeur. Certes des progrès ont été faits en la matière mais le chemin vers l’égalité est encore long.
- Quel rôle peut jouer la philanthropie pour préserver ces droits, et quelles devraient être selon vous ses priorités ?
La philanthropie et la société civile ont un rôle important à jouer sur les questions des droits, car on ne peut pas tout attendre de la politique. MeToo et la libération de la parole des femmes victimes de violences sexuelles viennent de la société civile !
L’accueil des migrants est un sujet majeur dont la philanthropie peut s’emparer. Je pense tout particulièrement aux mineurs isolés : il faut leur proposer un accompagnement, une formation afin de favoriser leur intégration. La philanthropie peut aussi favoriser l’accueil des nouveaux arrivants qualifiés – tout comme les entreprises qui dans ce domaine ont une responsabilité sociétale.
Autre sujet sur lequel la philanthropie peut s’engager : l’entrepreneuriat féminin. Il est difficile de se lancer, en particulier pour les femmes. La philanthropie peut les soutenir.
Enfin, promouvoir les formations et les métiers scientifiques pour les femmes me semblent être une priorité, et ce dès le plus jeune âge, main dans la main avec le ministère de l’Éducation et les entreprises.
- Avez-vous en tête des exemples concrets de réussite rendus possibles grâce à la philanthropie ?
Deux projets portés par Afghanistan Libre me tiennent particulièrement à cœur. Tout d’abord la mise en place de classes digitales dans des villages très reculés d’Afghanistan, pour former les jeunes filles au numérique – un projet rendu possible grâce à un partenariat avec la Fondation Engie, qui a installé les panneaux solaires nécessaires. Le second, mené avec l’appui de la Fondation Raja-Danièle Marcovici, concerne la création de centres d’éducation à la santé dans ces mêmes zones rurales d’Afghanistan. Ils offrent aux femmes un soutien psycho-social, des sessions d’information et de prévention…. Les informer sur leur santé concourt à leur émancipation. Le centre distribue aussi des kits d’accouchement stériles, indispensable pour réduire la mortalité maternelle. C’est très concret et ça change la donne.
- Comment peut-on susciter l’engagement ?
L’engagement est une démarche très personnelle. Il est donc du ressort de chacun de se préoccuper de l’autre. Tout ce que l’on fait a aussi des impacts sur les générations futures, nous avons un devoir d’exemplarité et de transmission ! Et je constate d’ailleurs, avec beaucoup de satisfaction, que depuis la pandémie, les gens sont en quête de sens et ont davantage envie de s’impliquer pour aider les autres. Les salariés par exemple sont de plus en plus concernés par l’engagement sociétal de leurs entreprises et s’engagent eux-mêmes avec fierté.
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