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« La philanthropie a toute légitimité à œuvrer au renforcement des démocraties » par Christophe Deloire

Points de vue 22 Sep.2021

Christophe Deloire est secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), organisation internationale de défense du journalisme. Il nous livre ici sa vision de la philanthropie et nous explique en quoi elle peut agir comme un rempart contre toutes formes d’atteintes à la démocratie.

Quelle est votre vision de la philanthropie ?

La philanthropie poursuit deux missions qui se nourrissent l’une de l’autre : soulager les problèmes des personnes à un moment donné, et agir en vue d’une amélioration systémique et pérenne de la société.

La philanthropie travaille à la fois sur le visible et l’invisible. Nous devons avoir en tête l’exemple du du poisson : dans l’urgence, il faut donner du poisson à quelqu’un qui n’a pas à manger, à plus long terme il faut lui apprendre à pêcher. Mais il ne sert à rien de lui apprendre à pêcher s’il n’y a plus de poisson dans la mer, d’où l’importance de travailler à cela aussi. C’est la force de la philanthropie : parvenir à travailler sur ces trois niveaux, ces trois logiques, sans privilégier les actions immédiatement visibles. La philanthropie répond à des problèmes, elle doit aussi favoriser le traitement des causes.

Comment peut-elle agir en complémentarité de l’action publique ?

L’État a par nature son organisation, ses normes, qui lui confèrent rigueur et efficacité mais qui peuvent empêcher, voire dissuader, son agilité et son innovation.

Il y a une forme de souplesse dans la philanthropie, qui lui permet précisément d’être plus agile, plus innovante et surtout de faire confiance ! Car ceux qui agissent sur le terrain ont besoin qu’on leur fasse confiance. Nous, ONG, n’avons pas toujours la capacité de dire ce que l’on fera dans six mois. À Reporters sans frontières, nous ne savions pas avant l’été qu’il y aurait une telle crise en Afghanistan et qu’on aurait à se mobiliser pour organiser des évacuations de journalistes. Cette réalité vaut pour toutes les crises dans le monde. Lorsqu’on lance des initiatives et qu’on a besoin d’agir en opportunité, on a besoin de solutions fondées sur la confiance pour mettre notre énergie, notre détermination et notre efficacité au service d’un projet, qui nécessairement évolue. Or, la philanthropie a l’avantage de pouvoir stimuler cette créativité et cette adaptabilité. Elle est créatrice d’innovations, en comparaison de l’action publique, plus consensuelle.

Quels sont selon vous les domaines qu’elle doit investir en priorité ?

Par nature, et c’est légitime, la philanthropie est tournée vers les êtres humains, de manière directe. Les êtres humains ont un problème, la philanthropie va les aider à résoudre, du moins à atténuer ce problème. Il faut évidemment continuer à le faire, mais les difficultés rencontrées sont souvent largement influencées par les effets de système. Prenons l’exemple de la défense de la liberté d’information, la situation des journalistes dans tel ou tel pays va relever des infrastructures technologiques, du cadre légal, du fonctionnement des marchés économiques… autant de facteurs qui ne sont pas immédiatement visibles mais qui sont une matrice. Si on veut vraiment changer la donne, il faut travailler sur ces facteurs structurels. La philanthropie a cette capacité à apporter une amélioration en profondeur. Bien sûr, ça peut paraître plus froid, plus sobre, plus distant. Plus difficile également, car c’est moins une générosité immédiate et visible vis-à-vis des individus. Il y a une logique d’investissement de plus long terme, mais avec un retour pour les sociétés qui peut être très puissant.

En quoi la philanthropie peut-elle être un rempart face au recul de la démocratie et des atteintes aux droits humains qui se multiplient partout dans le monde ?

Aujourd’hui, l’humanité affronte deux menaces majeures : le dérèglement climatique et le dérèglement démocratique. Nous observons une prise de conscience très forte du délitement démocratique, et constatons la réduction du nombre de démocraties depuis le tournant des années 2000. Les modèles démocratiques souffrent du fait que l’espace de la délibération publique n’est plus organisé par les Parlements qui, avant, en adoptaient les lois (que ce soit sur le fonctionnement des médias, la distribution et le pluralisme de la presse, l’application des principes de la liberté d’expression…), mais par des plateformes numériques. Le système de garanties démocratiques pour la délibération publique a explosé avec la globalisation et la digitalisation de l’espace public. Nous ne pouvons pas laisser à des entreprises privées, qui agissent selon les intérêts de leurs actionnaires, la capacité à dicter les lois de cet espace. Il faut que les démocraties reprennent les clés et que des institutions démocratiques décident des modalités de leur fonctionnement. C’est pour cela que nous avons lancé à Reporters sans frontières une initiative sur l’information et la démocratie, signée déjà par 43 États démocratiques. Ce 24 septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, se tient un sommet sur la démocratie, durant lequel les ministres des Affaires étrangères de dizaines de pays vont travailler ensemble à avancer vers un espace numérique démocratique, sur la base de nos propositions. Cette initiative n’aurait pas été rendue possible sans l’appui de philanthropes qui ont cru en ce projet.

La philanthropie a toute légitimité à œuvrer au renforcement des démocraties partout dans le monde, à soutenir des projets sur la confiance, sur la concorde civile, sur les règles qui permettent aux sociétés de tenir et de progresser.

Ce soutien durable est essentiel mais face à des crises, comme la crise afghane, la philanthropie n’a-t-elle pas d’autre choix que de privilégier le temps court, celui de l’urgence ?

La philanthropie agit sur les deux temps : d’abord le temps de l’urgence, en aidant les personnes de manière directe, notamment celles qui ont dû choisir l’exil pour fuir les menaces. Elle va également apporter un soutien à tous ceux qui organisent les opérations d’évacuation, de plaidoyer auprès des gouvernements, des organisations internationales.

Puis viendra le temps du soutien durable. Avant la prise de pouvoir des Talibans, il y avait une vraie société civile afghane, avec un paysage médiatique... Comment aider à la reconstruction du pays ? Comment continuer, malgré les obstacles, à soutenir le journalisme afghan sur place et en exil… Là aussi la philanthropie a sa part à jouer.

Avez-vous un exemple concret où l’appui de la philanthropie a été déterminant dans le domaine de la liberté de l’information?

Nous avons eu un soutien philanthropique très fort, quand nous avons lancé il y a quelques années une initiative originale sur la fiabilité de l’information, la « Journalism Trust Initiative ». Ce projet vise à défendre un droit humain, le droit à l’information, qui fonde lui-même la liberté d’opinion et d’expression, à travers l’organisation du marché de l’information. Nous avons travaillé sur un triangle : la soutenabilité économique des médias, le fonctionnement technologique et les méthodes professionnelles et les devoirs éthiques des journalistes. Pour cela, nous avons bénéficié à la fois de soutiens publics comme ceux du ministère de la Culture français et de la Commission européenne, et de soutiens privés, avec l’appui de la Fondation de France et d’un mécène américain.

Comment mobiliser plus largement ? Comment donner à chacun l’envie d’agir ?

En réduisant le plus possible le périmètre de la négativité et du « à quoi bonisme » contemporain. De ce point de vue-là, il peut y avoir parfois une difficulté, avec un système médiatique qui préfère les accidents aux évolutions positives lentes. Par nature, les fracas et les évènements se voient et sont rarement positifs, vu qu’ils procèdent précisément d’accidents et de ruptures. En revanche, tout le travail positif, lent et souvent invisible, tourné vers les solutions, est moins vendeur. Il y a donc un enjeu à renverser cette tendance et à faire percevoir à chacun qu’il ne faut pas être uniquement en réaction, dans une position de défense de victimes mais dans une construction positive et durable des choses.  Il est essentiel que le public, un peu trop souvent gavé d’ironie et de sarcasmes, puisse se nourrir d’actions, de récits positifs et de solutions… C’est d’ailleurs l’un des grands enjeux actuels pour les ONG : passer d’une logique de déploration à une logique d’action et de solutions.

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