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Les Orients de la philanthropie : Asie et monde arabe

19 juillet 2018

La philanthropie est un phénomène universel et actuellement en plein essor sur la planète. Elle prend cependant des formes très diverses dans les aires culturelles où elle s’enracine. Cet article fait le point sur la générosité privée dans deux régions souvent méconnues en Occident : l’Asie et le monde arabe.

L'auteur

Charles Sellen est chercheur sur la philanthropie et coordinateur éditorial des publications scientifiques à l’Agence française de développement (AFD).
Il s’exprime ici à titre personnel.

 

Avec le déplacement progressif du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie et l’importance névralgique du Moyen-Orient dans l’équilibre géopolitique mondial, il importe que nos regards scrutent avec curiosité et intérêt l’émergence du secteur philanthropique dans ces géographies.

Dans le cadre de la diversification de ses partenariats avec les fondations privées et les acteurs de la société civile, l’Agence française de développement (AFD), opérateur de la politique française de coopération, a souhaité mieux comprendre le phénomène de philanthropie dans ces régions où cette réalité est encore peu cartographiée. Deux études ont été conduites, sur l’Asie de l’Est et les pays arabes.

L’Asie : un tiers des plus grandes fortunes du monde

L’Asie compte désormais le plus de grandes fortunes dans le monde : un tiers des 2208 milliardaires recensés par Forbes. Ce continent accueille aussi le plus grand nombre de « High Net-Worth Individuals » (HNWI, dont le portefeuille d’actifs dépasse 1 million de dollars) et la richesse accumulée au cours de la période 2000-2015 a crû deux fois plus vite dans cette région que dans le reste du monde (+263% contre +130%). Mais les inégalités y demeurent immenses : 1,2 milliard de personnes y vivent encore sous le seuil de pauvreté de 3 US$ par jour.

Moteur de la croissance économique globale depuis bientôt un quart de siècle – au point que les anglophones parlent d’Easternisation – l’Asie semble aujourd’hui se destiner à devenir un centre majeur de l’écosystème philanthropique.

En témoigne le foisonnement des fondations chinoises, dont le nombre, quasi-inexistant dans les années 1980-1990, a bondi de moins d’un millier en 2004 à près de 5 000 en 2015 (voir graphique). Durant la décennie 2005-2015, le PIB par habitant a quintuplé de 1740 à 7925 US$ et une classe moyenne a émergé. Le nombre de HNWI y a par ailleurs décuplé en dix ans. La combinaison de ces facteurs confère à la Chine un potentiel philanthropique considérable.

L’étude réalisée pour l’AFD montre qu’en Chine et en Birmanie les fondations ont à ce jour une dominante opérationnelle, essentiellement dans un cadre domestique, tandis qu’à Singapour et à Hong Kong, elles sont davantage distributrices et s’aventurent hors de leurs frontières, dans un rayon d’action régional. Singapour est un carrefour pour la philanthropie asiatique, non seulement par la présence importante de capitaux en provenance de toute l’Asie, mais aussi par un dynamisme de la recherche-action sur ces thématiques.

De manière générale, on retrouve en Asie une forte influence des spiritualités sur la pratique de la philanthropie, qui s’inscrit tantôt dans les traditions bouddhiste, confucéenne, hindouiste ou musulmane. Partout, elle s’exprime d’abord sous la dimension familiale, la famille étant la structure de base des sociétés asiatiques. L’éducation est de loin la première cause bénéficiaire des générosités privées. Elle est perçue comme un vecteur d’élévation sociale pour les individus et de progrès pour l’ensemble de la société.

Le monde arabe : une philanthropie réelle, mais difficile à évaluer

Dans le monde arabe, la philanthropie est très intimement liée aux valeurs religieuses. À tel point qu’il est difficile de la concevoir en dehors de ce référentiel, qu’il s’agisse de l’islam bien sûr, mais aussi du christianisme des Églises d’Orient. On y distingue la générosité dont la pratique est « moralement obligatoire » en vertu des préceptes pieux (la Zakât ou « aumône » qui est l’un des cinq piliers de l’islam, dont l’équivalent est l’Ushour ou « dîme » chez les chrétiens) de la philanthropie facultative, laissée à la libre appréciation de chacun et allant au-delà du don d’argent : la Sadaqa.

Un trait saillant est la relative fragilité des organisations de la société civile, dans la mesure où la préférence est donnée à une pratique informelle de la générosité par rapport à une logique institutionnelle. Le déficit de données quantitatives fiables pour mesurer le dynamisme du secteur est dû en partie à cette absence de formalisme, mais aussi à une réticence des autorités locales envers les enquêtes socioéconomiques sur des sujets aussi sensibles que la circulation de capitaux privés. Le fort prisme religieux ajoute également à cette grande discrétion, voire ce secret, dans l’acte de don qui s’accomplit le plus souvent sans ostentation.

Les donateurs n’établissent pas forcément de lien entre philanthropie et développement (entendu comme « la mise en œuvre de projets ciblant les problématiques sociales »). Au contraire, la philanthropie est quasi-systématiquement perçue et vécue comme un synonyme de charité. Cela explique que la majorité des dons soient orientés vers un soulagement des besoins immédiats des individus les plus pauvres. Peu d’initiatives tentent de s’attaquer aux causes profondes des défis sociaux, dans une optique d’ingénierie sociale. Toutefois, cette situation semble évoluer sous l’influence des grands philanthropes internationaux.

La pratique de la philanthropie est donc culturellement très répandue dans le monde arabe, mais elle s’exprime davantage par une générosité interpersonnelle, immédiate et de proximité, plutôt que via des véhicules structurés (fondations, ONG), même s’il existe de nombreux fonds (Waqf : « donation perpétuelle »), pour certains très anciens et richement dotés.

Soutenir les infrastructures philanthropiques

S’appuyant sur ces études et sur l’analyse comparative des environnements nationaux qui révèle de fortes disparités entre pays, on peut considérer que le renforcement des « infrastructures philanthropiques » (organisations et réseaux d’appui au tiers secteur) dans le monde en développement est un levier d’action crucial pour les agences et bailleurs de fonds publics. Il permettrait de mobiliser davantage les ressources privées pour atteindre les 17 objectifs de développement durable à l’horizon 2030.

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