Accéder au contenu principal
Vous êtes fondateur
Vous êtes donateur
Vous êtes porteur de projet
Vous êtes fondateur
Vous êtes donateur
Vous êtes porteur de projet

Bouleversements politiques aux États-Unis : le secteur philanthropique à un tournant

26 mai 2025

Karen WeisblattKaren Weisblatt, Fondatrice et PDG de Weisblatt et Associés © D.R.Par Karen Weisblatt, Fondatrice et PDG de Weisblatt et Associés , Conseil en philanthropie.

L'entrée en fonction de Donald Trump en janvier 2025 a été un tremblement de terre pour le secteur philanthropique américain et mondial : l'administration américaine a fermé la United States Agency for International Development (USAID), coupé le financement du National Endowment for Democracy et du Center for Disease Control, démantelé la Voix de l'Amérique et s'est retirée de l'Organisation mondiale de la santé1. Ces décisions ont un impact sur la sécurité, la santé et le bien-être de millions de personnes dans le monde.

En plus de ces coupes budgétaires, l'administration Trump a publié une série de décrets (« Executive Orders ») très préoccupants qui ciblent notamment les universités et les chercheurs, exigeant la fin des programmes Diversity, Equity and Inclusion (DEI), fragilisant des décennies de recherche scientifique et restreignant la liberté d'expression sur les campus2. Ces attaques contre les libertés civiles sont délibérées, destinées à semer la discorde et à créer des divisions. Dans ce contexte, beaucoup craignent que les fondations ne soient bientôt ciblées3. Bien que l'administration Trump ne soit peut-être pas en mesure d'ordonner la fermeture d'une ONG ou d'une fondation, elle dispose de nombreux moyens pour en affaiblir l'activité : enquêtes fédérales, gel des actifs financiers, révocation des exonérations fiscales...

Par ailleurs, ce climat de forte incertitude, associée au chaos économique causé par les nouveaux tarifs douaniers imposés par Trump, a conduit de nombreux donateurs individuels à suspendre leurs dons, engendrant une baisse des ressources des organisations philanthropiques4.

Le secteur philanthropique américain en première ligne

Rappelons une évidence : la philanthropie ne peut pas compenser la suspension des financements américains dans le monde. Cependant, pour faire face à cette situation inédite, plusieurs organisations représentatives des acteurs de la philanthropie se sont mobilisées, comme le Council on Foundations qui a publié une déclaration de soutien  signée par plus de 600 organisations, ou le Trust-based Philanthropy Project, qui a lancé un appel à l’action pour « Être à la hauteur de la situation » (« Meet the Moment ») . Ces déclarations insistent sur l’importance de mobiliser des fonds pour renforcer le soutien aux associations, en s’engageant notamment sur des financements pluriannuels non fléchés. Mais aussi sur l’importance de travailler de manière collective, en favorisant les coopérations et la co-construction de solutions.

Diverses fondations ont augmenté leurs dépenses pour répondre à la situation actuelle. Par exemple, la Fondation Marguerite Casey s'est engagée à verser 130 millions de dollars de subventions en 20255, ce qui représente une augmentation substantielle pour une fondation qui redistribuait entre 23 et 57 millions de dollars par an depuis 20196. La Fondation MacArthur a annoncé qu'elle augmenterait sa capacité d'engagement à 6 % au moins de sa dotation au cours des deux prochaines années (contre 5 % précédemment), ce qui équivaut à une augmentation de 150 millions de dollars. Elle a également appelé les autres fondations à faire de même7.

En revanche, d’autres organisations philanthropiques, telle que l'Initiative Chan Zuckerberg8, ont choisi d'obéir à l'injonction présidentielle et remettent en cause leurs axes thématiques antérieurs (la durabilité environnementale, l'égalité des sexes, les droits des LGBTI+, la diversité et l'inclusion) afin d'éviter d'être dans la ligne de mire de l'administration.

Le désengagement de l’État américain met la pression sur les fondations aux États-Unis et a également un impact sur les acteurs européens. En effet, ce contexte met en danger de nombreuses coopérations entre fondations internationales. De nombreuses actions sont menées conjointement entre fondations américaines et européennes, notamment dans les domaines de la santé et de la science.

Renforcer la coopération entre fondations américaines et européennes

Historiquement, les philanthropes américains ont toujours largement soutenu des initiatives européennes. Par exemple, les fondations américaines ont contribué à la création d’une infrastructure européenne de la philanthropie, le Centre Européen des Fondations (aujourd’hui Philea - Philanthropy Europe), ou plus récemment à celle d’Ariadne, réseau européen de fondations pour le changement sociétal et les droits humains9. Aujourd’hui, Ariadne compte neuf fondations donatrices majeures, dont sept sont basées aux États-Unis10. Autres exemples de cet engagement en France : les nombreux groupes « American Friends » rattachés aux institutions culturelles françaises11, ou encore les dons individuels de mécènes américains à des opérations philanthropiques françaises, comme par exemple pour la reconstruction de Notre-Dame12.

La situation actuelle appelle à un rééquilibrage des aides et soutiens. Les organisations européennes prennent la défense de leurs homologues américaines : Philea a par exemple signé une lettre de soutien  encourageant les membres de la communauté internationale à se serrer les coudes. Toutefois, face à cette situation exceptionnelle, les acteurs européens et américains ne pourraient-ils pas prendre des mesures plus énergiques ? Des initiatives européennes qui défendent la démocratie et la liberté d'expression existent, comme le Democracy Network de Philea , le programme PAUSE, le Fonds pour la Démocratie, l’alliance Civitates du Network of European Foundations, ou encore la Fondation Multitudes. Pourquoi ne pas imaginer que des ONG américaines deviennent bénéficiaires et participantes de ces programmes ?

Certaines actions encore plus audacieuses pourraient être envisagées, à l'instar de la nouvelle initiative du gouvernement français « Choose Europe for Science »13, qui invite des chercheurs et universitaires américains dont les financements ont été coupés à venir poursuivre leurs travaux dans l’Hexagone. Peut-être la communauté philanthropique pourrait-elle lancer une démarche similaire à destination des organisations américaines de défense des droits civiques par exemple, en les accueillant pendant cette période troublée ?

Une autre approche pourrait consister à créer un programme de bourses destiné à accueillir des étudiants américains, afin d’identifier et de former la prochaine génération de leaders engagés dans la justice sociale et la participation citoyenne, à l’image du Programme « Global Fellowship » de la Fondation Ford14. Cela pourrait favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de philanthropes et de militants des droits humains. Enfin, les fondations européennes pourraient collecter des fonds pour soutenir les médias indépendants américains, les initiatives en faveur de la santé des femmes, ou encore des projets de lutte contre le dérèglement climatique… et contribuer ainsi à atténuer les impacts négatifs liés au gel des financements de l'administration Trump.

Force est de constater que la communauté philanthropique internationale entre dans une nouvelle ère et qu'elle doit accepter le fait que le gouvernement américain ne sera plus là pour la soutenir, au moins dans les quatre prochaines années. Et si le temps était venu pour les acteurs européens de la philanthropie de tirer parti de leur expertise et de leur engagement en offrant à leur tour un soutien à leurs pairs américains ? La France, par son histoire et sa culture, aurait tout honneur à endosser cette responsabilité et ainsi renforcer son engagement pour la défense des valeurs démocratiques et des droits humains.

 

[1] https://www.i24news.tv/fr/actu/international/ameriques/artc-le-gouvernement-trump-supprime-le-financement-des-medias-americains-a-l-etranger  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/22/offensive-de-trump-contre-les-sciences-le-prejudice-pour-la-recherche-americaine-et-mondiale-sera-considerable_6598770_3232.html

[2] https://ncrc.org/trumps-federal-funding-freeze-devastated-nonprofits-was-it-legal/

[3] https://www.theguardian.com/us-news/2025/apr/10/trump-administration-authoritarian

[4] https://www.cnbc.com/2025/04/25/wealthy-donors-nonprofit-funding-freeze.html

[5] https://www.caseygrants.org/recent-news/mcf-commits-130-million-to-protect-communities-under-political-attack

[6] https://apnews.com/article/marguerite-casey-foundation-endowment-executive-order-nonprofits-3e4a312c026f84350a00953b5b796291?utm_medium=email&_hsenc=p2ANqtz-8AGrUskaMzUqXjUhATn32ux-ZXtsn3WLqIhGJuzL9WnXvCINljNEYWM_czHc8f5_r71UueFnTTibGATzTykj6yPuxe3w&_hsmi=358006972&utm_content=358006972&utm_source=hs_email

[7] https://www.macfound.org/press/perspectives/supporting-civil-society-in-need-with-increased-giving

[8] https://www.theguardian.com/technology/2025/feb/19/mark-zuckerberg-chan-dei

[9] https://philea.eu/ and https://www.ariadne-network.eu/what-we-do/ 

[10] https://www.ariadne-network.eu/our-supporters/   

[11] American Friends Groups of French Cultural Institutions, Anne Monier, « L’État comme ressource symbolique dans le monde philanthropique ? L’exemple des American Friends des institutions culturelles françaises », in N. Duvoux (ed.) « Philanthropies et prestige d’Etat en France xixe-xx » siècles, Genèses. Sciences sociales et histoire, 2017/4 (n° 109), p.100-117.

[12] Les donateurs américains ont contribué à hauteur de 62 millions de dollars à sa restauration.

[13] https://www.lemonde.fr/article-offert/8048e8ea9736-6603230/le-plan-de-la-france-et-de-l-europe-pour-attirer-les-chercheurs-etrangers?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default&random=344685252

[14] https://www.fordfoundation.org/work/investing-in-individuals/the-ford-global-fellowship/

 

Tous les points de vue