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Vers une philanthropie de changement systémique en France

13 Avr.2023

Cette article est extrait de La Tribune Fonda de mars 2023.

expert 0423Par Arthur Gautier, professeur à l'ESSEC Business School, directeur exécutif de la Chaire Philanthropie et Maja Spanu, responsable Pôle Recherche et Affaires internationales, Fondation de France, maître de conférences affiliée en relations internationales à l'Université de Cambridge.

Comme toute idée en vogue, celle de changement systémique (systems change) suscite beaucoup d’enthousiasme dans le champ de l’innovation sociale. Si de nombreux leaders du champ reprennent des éléments issus de la pensée systémique, quelques voix discordantes viennent tempérer cette ferveur : l’idée est-elle vraiment neuve si elle a connu son essor dans les années 1960 ? Va-t-on reproduire certaines erreurs de l’époque, en plaquant des méthodes d’ingénieur pour résoudre « techniquement » des problèmes sociaux ? N’est-il pas exagéré de vouloir changer tout un système, alors que la plupart du temps, nous ne pouvons au mieux que l’utiliser pour parvenir à améliorer les choses ?

Ces débats autour du changement systémique n’ont pas seulement lieu outre-Atlantique. En France, le réseau Ashoka a initié en 2021 « Racines », une démarche collective associant fondations, entrepreneurs sociaux et chercheurs (dont nous, auteurs, faisons partie) désireux de repenser le rôle des financeurs, et plus particulièrement du secteur de la philanthropie, dans le soutien au changement systémique. Durant cette première année, deux études exploratoires ont été menées auprès des fondations et fonds de dotation en France, pour comprendre leur degré de connaissance, leurs idées et leurs pratiques en la matière. Nous en présentons ici les principaux résultats avant de nous interroger sur les perspectives de développement d’une telle approche en France.

État des lieux en France

Ashoka et la Fondation de France, via son Observatoire de la philanthropie, ont d’abord mené une étude quantitative exploratoire en mai 2021. Un sondage en ligne a été envoyé à plus de mille dirigeant(e)s d’organisations distribuant des fonds philanthropiques en France, recueillant 101 réponses complètes. Si l’échantillon est de taille limitée et n’a pu être choisi de manière aléatoire, on peut néanmoins tirer quelques enseignements de l’étude. D’abord, un degré de familiarité assez hétérogène chez les répondants à propos du concept de changement systémique : si 45% se déclarent moyennement familiers, 25% se disent familiers ou très familiers, mais 30% peu ou pas du tout familiers.

Ensuite, une marge de progression importante entre ce qui est fait aujourd’hui et ce qu’il est possible de faire. Si 75% des personnes interrogées pensent que la philanthropie a bien un rôle stratégique à jouer, seuls 20% considèrent le changement systémique comme étant déjà au cœur de la stratégie de leur propre fondation. Mais encore faut-il lever certains obstacles évoqués : la « concurrence » entre l’approche systémique et les besoins de financement à court terme de projets urgents ; la croyance que des moyens trop colossaux sont nécessaires pour s’y engager ; un manque d’outils pratiques pour repérer les solutions systémiques.

L’étude qualitative menée conjointement par Ashoka et l’ESSEC Business School a permis d’approfondir les représentations et les pratiques des organisations philanthropiques en la matière. Un échantillon de 15 dirigeant(e)s de fondations et fonds de dotation distributifs, agissant en France, mais de capacités financières (de 100 000 euros à 50 millions d’euros par an) et d’origine (familles, entreprises, autres) différentes, a été constitué. Quelques thèmes majeurs émergent de l’analyse de leurs entretiens. Si le concept de changement systémique est bien compris et suscite l’intérêt des dirigeant(e)s, ils en questionnent certains aspects : tous les problèmes sociaux et environnementaux se prêtent-ils à une approche de changement systémique ou est-ce pertinent seulement pour certains d’entre eux ? Faut-il mobiliser d’énormes moyens financiers pour agir à l’échelle sur un système, ou est-ce possible avec frugalité, localement ? Doit-on nécessairement collaborer avec les pouvoirs publics pour espérer changer un système dysfonctionnel, et si oui, comment ?

Un autre thème important ressort de l’étude : oui, d’après eux la philanthropie a un rôle spécifique à jouer pour soutenir le changement systémique, que d’autres acteurs – publics ou privés lucratifs – ne peuvent assurer facilement. Elle peut notamment financer l’innovation sociale (en particulier la phase risquée d’amorçage de nouvelles solutions), la recherche scientifique et l’évaluation d’impact, mais aussi organiser et soutenir du plaidoyer et des coalitions d’acteurs pluralistes.

Mais les entretiens confirment ce que le sondage avait suggéré : un décalage entre l’intérêt pour le sujet et l’état actuel des pratiques. En effet, le changement systémique apparaît seulement en filigrane dans la stratégie des fonds et fondations, de manière implicite et, sauf exception, sans « théorie du changement » formalisée. Dans le soutien qu’elles accordent aux acteurs de terrain, certaines pratiques sont compatibles avec l’approche systémique (comme apporter un soutien extra-financier, pour accompagner leurs partenaires au-delà d’un chèque) mais d’autres le sont moins (la durée moyenne d’un partenariat est de 3 ans, ce qui est court et peu compatible avec l’ambition d’un changement à long terme).

Des freins…

Ces deux études ont permis d’identifier plusieurs freins à l’avènement d’une philanthropie de changement systémique en France. Premièrement, c’est un sujet complexe et assez abstrait, auxquels les acteurs de la philanthropie n’ont pas été formés et outillés. Deuxièmement, une telle approche est concurrencée de fait par l’urgence des crises (sanitaire, sociale, écologique), qui nous incite à déployer des ressources pour soulager immédiatement certaines souffrances. Dès lors, comment faire « en même temps » de l’aide directe qui traite les symptômes et du changement systémique qui agit à la racine ? On retrouve ici le dilemme entre charité et philanthropie au 19e siècle… Troisièmement, certaines fondations sont pressées par leurs parties prenantes (salariés, médias ou agences de notation pour les fondations d’entreprise ; donateurs pour les fondations qui collectent aussi des fonds) de démontrer l’atteinte de résultats tangibles, rapides, faciles à comprendre et à mesurer. Or, le changement systémique agit sur des éléments « invisibles » comme les croyances, prend du temps à advenir, suppose d’accepter la complexité et l’impossibilité de pouvoir tout contrôler et prédire.

Une dernière difficulté n’apparait pas dans ces études, mais doit être prise en compte sérieusement : comment changer un système dont on fait soi-même partie ? Comment s’assurer qu’on ne contribue pas aussi aux problèmes que l’on souhaite traiter à la racine ? En effet, plusieurs ouvrages critiques parus ces dernières années arguent que la « grande philanthropie » – en particulier celle des milliardaires – contribue à éroder la démocratie, creuser les inégalités et amplifier la crise climatique. Et ne peut donc traiter sérieusement les grands défis de notre époque à la racine. Le débat reste ouvert. Mais en attendant, comment faire mieux et progresser ?

… aux opportunités

Nous voyons deux pistes concrètes se dessiner. La première consiste à mieux comprendre le(s) système(s). Il est d’abord possible de s’informer et de se former au changement systémique, de manière générale. Des ressources sont accessibles librement, regroupées notamment sur la plateforme de l’initiative « Racines ». Ashoka propose par exemple un « crash course » utilisant des vidéos et des exercices pratiques pour mieux appréhender le sujet. Ensuite, les acteurs de la philanthropie peuvent faire eux-mêmes une analyse approfondie du système qu’ils veulent changer : ses frontières, ses acteurs, leurs interactions, leurs intérêts, les points d’appui possibles… Plusieurs méthodes existent : elles méritent d’être traduites, vulgarisées, diffusées plus largement.

La deuxième piste consiste à agir sur le(s) système(s). Il s’agit d’étudier des cas concrets de changement systémique réussi ou raté. D’échanger entre pairs de manière transparente, sans tabou. De s’inspirer et d’adapter les propositions existantes comme celles de Geofunders ou New Philanthropy Capital. De prioriser son action en privilégiant les quelques points d’appui (leverage points) dont l’effet de levier paraît le plus fort. C’est plus facile de le faire collectivement, au sein d’une communauté ouverte.

Evidemment, il y a un risque que la notion de changement systémique devienne un concept à la mode, un « buzzword » qu’on peut revendiquer facilement sans sortir réellement de sa zone de confort. Mais la poursuite du statu quo est tout aussi risquée, dans un contexte de défiance croissant envers les institutions et de fracturation de nos sociétés démocratiques. Pour renouer avec son ambition transformative et répondre aux attentes des acteurs du changement qui œuvrent pour un monde plus juste et soutenable, la philanthropie est invitée à apprendre à « danser avec les systèmes », comme le suggérait poétiquement Donella Meadows ! Alors, on danse ?

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