Solidarité Mayotte : agir pour l’accès aux soins et la santé mentale
Le passage du cyclone Chido a mis en lumière un système de santé en grande difficulté. Le Centre hospitalier est saturé, les effectifs médicaux sont insuffisants et la population rencontre de multiples obstacles financiers, logistiques et administratifs pour accéder aux soins. Dans ce contexte, la santé mentale est un enjeu majeur : les besoins sont immenses, notamment chez les jeunes. Entretien avec Sophie Lasserre, responsable santé et santé mentale, au pôle Urgences de la Fondation de France.
Quels sont les défis prioritaires à relever pour répondre aux besoins en santé et en santé mentale de la population ?
Le système de santé à Mayotte est extrêmement fragilisé. Le Centre hospitalier est débordé, lorsque nous nous sommes rendus sur place fin juin, nous avons pu constater que seuls deux blocs opératoires étaient fonctionnels sur cinq et qu’il y avait un manque criant de professionnels, souvent en contrats de courte durée. L’accès aux soins est limité par l’impossibilité pour de nombreux habitants d’avancer les frais médicaux, le peu de transports publics et pour certains la peur d’être arrêtés lorsqu’ils se rendent dans un dispensaire. Pour rappel, il n’y a pas d’aide médicale d’Etat à Mayotte. Les conditions de vie particulièrement dégradées sur l’archipel (forte proportion d’habitat insalubre, hygiène insuffisante, pollution de l’air, absence d’accès à l’eau courante pour une grande part de la population...) ont un impact important sur la santé des Mahorais. On note notamment une forte progression des maladies chroniques (pathologies cardiovasculaires, cancers, diabète…). Par ailleurs, le cyclone a entraîné des ruptures de traitements pendant plusieurs semaines.
La santé mentale est particulièrement délaissée : l’offre de psychiatrie adulte est quasiment inexistante et l’accès aux psychologues exerçant en libéral reste rare, trop cher et se heurte à des freins culturels. Pourtant, les besoins sont considérables : de nombreux jeunes souffrent d’isolement, présentent des troubles anxieux, des conduites addictives ou des traumatismes réactivés par le cyclone. La santé des jeunes est un autre enjeu majeur. Mayotte connaît près de 10 000 naissances par an, soit l’équivalent d’une classe chaque jour, avec une mortalité infantile deux fois plus élevée qu’en métropole. Les grossesses précoces restent très fréquentes. Beaucoup de jeunes grandissent dans un environnement marqué par l’insalubrité, l’insécurité et le manque d’accès à l’eau potable, ce qui fragilise encore davantage leur santé physique et psychologique.
Quelles sont les priorités de la Fondation de France dans ce domaine ?
Nous avons choisi d’agir en priorité pour la santé des jeunes, particulièrement vulnérables. L’association Terra Psy organise des groupes de parole dans les établissements scolaires. Les psychologues scolaires sont peu nombreux, et il était primordial de pouvoir soutenir les élèves lors de la réouverture des écoles après le cyclone en début d’année. Terra Psy a également mené des maraudes psychologiques pour accompagner les enfants non scolarisés et leurs familles. L’association Play International a mis en place des séances sportives encadrées par des professionnels de santé mentale pour les enfants au sein de différents quartiers. Pour la rentrée scolaire, elle propose ces séances dans des établissements scolaires et travaille avec les professionnels de l’Éducation nationale pour qu’ils puissent encadrer ces séances. De son côté, l’association EPSM intervient à l’Université de Mayotte, au lycée agricole de Coconi et au sein des Maisons familiales rurales pour fournir aux étudiants des soins somatiques et psychologiques, qui vont se pérenniser au sein de ces établissements. Nous avons aussi mis l’accent sur les projets d’aller vers, pour aller à la rencontre des personnes fragilisées et isolées, qui ne sont pas ou plus en capacité de sortir pour se faire soigner.
En quoi la coopération entre les différents acteurs est-elle indispensable ?
Les actions mobiles permettent de toucher les personnes qui ne se rendent pas dans les lieux de soins par peur d’être arrêtées, par manque de moyens ou qui se sont repliées sur elles-mêmes à la suite du cyclone. Mais ces dispositifs restent fragiles : l’incertitude sur les capacités d’accueil du Centre hospitalier et des structures de ville limite parfois les possibilités d’orientation après un dépistage. C’est pourquoi nous travaillons, en lien avec l’Agence Régionale de Santé, à renforcer la coordination entre les acteurs sanitaires, sociaux et associatifs, afin de mutualiser les ressources, partager les pratiques et offrir une réponse collective plus cohérente.
Cet effort est particulièrement nécessaire en matière de santé mentale, qui reste le parent pauvre du système de soins. Les troubles anxieux, les conduites addictives et les syndromes post-traumatiques, très présents chez les jeunes après le cyclone Chido, nécessitent une réponse concertée et cohérente. Le recours à un suivi psychologique reste très stigmatisé et souvent assimilé à un signe de faiblesse. Offrir des parcours de soins plus lisibles et adaptés contribue aussi à déstigmatiser la santé mentale au sein de la société.
Nous sommes également très attentifs à la prise en charge des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles, qui concernent aussi les jeunes. Les associations de terrain identifient de nombreuses situations, aggravées par la destruction des habitats et la promiscuité, mais manquent de structures sécurisées pour accueillir et protéger les victimes. Le développement de dispositifs coordonnés, associant professionnels de santé, acteurs associatifs et institutionnels est indispensable pour proposer un accompagnement global.
Pouvez-vous citer quelques exemples de projets soutenus ?
Notre priorité reste l’accompagnement des personnes les plus vulnérables. L’association Mayotte Autisme a remis en état son jardin thérapeutique pour poursuivre son accompagnement des personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique. Situé à Mamoudzou, le Groupe d’Entraide Mutuelle Vivre Ensemble, qui accompagne les personnes atteintes de troubles psychiques et qui a vu ses demandes d’accompagnement fortement augmenter, a remplacé son matériel détruit et augmenté sa capacité d’accueil. Nous avons également soutenu une journée de réflexion sur les conséquences psychologiques du cyclone, menée par et pour les acteurs de santé, afin de faire de la santé mentale une réalité et une priorité pour tous.
ou par chèque bancaire libellé à l’ordre de :
Fondation de France – Solidarité Mayotte 60509 Chantilly Cedex
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