Soyons Fous : le cinéma pour changer de regard sur la santé mentale
Soyons Fous est un projet cinématographique inédit en deux volets : un court-métrage d’aventure, imaginé et réalisé par une équipe majoritairement composée de personnes vivant avec des troubles psychiques, et un documentaire qui retrace la genèse de ce film pour mettre en lumière l’expérience humaine et artistique des participants. Soutenu par la Fondation de France, ce projet propose de repenser les représentations souvent stigmatisantes associées à la santé mentale.
La santé mentale reste un enjeu majeur en France, où près de 13 millions de personnes sont concernées par des troubles psychiques. Pourtant, les représentations de ces personnes restent souvent négatives, teintées de peur ou d’incompréhension. Dans les médias et au cinéma, elles sont trop fréquemment dépeintes comme violentes, instables ou incapables, ce qui renforce la stigmatisation et accentue leur isolement. Dans ce contexte, le projet artistique Soyons Fous propose un changement de regard. Rencontre avec Amaury Pascaud, producteur des deux films.
Comment est né le projet ?
Le projet est né sous l’impulsion du réalisateur Quentin Perez. Il souhaitait dépasser les clichés véhiculés par les reportages sur le sujet et offrir une représentation plus juste et sensible des personnes concernées. Avec la co-scénariste Manon Martin-Clouaire, il a passé du temps dans différentes structures franciliennes : des centres médico-psychologiques, des Groupes d’Entraide Mutuelle et diverses associations. C’est au cours d’ateliers de rétablissement au sein de l’une de ces associations que l’idée est née : inviter une quinzaine de participants à découvrir les métiers du cinéma. L’objectif était multiple : les former, les sensibiliser et leur permettre de travailler sur un film dans des conditions professionnelles. Le projet comprend un court-métrage de vingt minutes, mêlant western, aventure et comédie, et un documentaire de deux heures qui retrace sa création. Tourné dans les Hautes-Alpes et le Vaucluse, le court-métrage raconte une épopée collective célébrant le lien, la liberté et l’émancipation. Le documentaire, quant à lui, retrace le parcours des participants, leur apprentissage et montre comment le cinéma est devenu pour eux un moyen de créer du lien et de se révéler. C’est aussi un film sur le cinéma : il montre la création du court-métrage dans les coulisses, de l’écriture à la réalisation.
Comment les participants concernés par des troubles psychiques ont-ils été sélectionnés et accompagnés ?
Nous avons réuni une quinzaine de participants âgés de 25 à 60 ans, uniquement sur la base de leur envie de s’investir. Les participants ont d’abord été encadrés par des professionnels du cinéma, parmi lesquels Emmanuelle Bercot, Corinne Masiero et Hubert Charuel. Ces mentors de renom ont partagé leur expérience, guidé le groupe tout au long du projet et instauré un cadre stimulant et bienveillant, alliant exigence artistique et accompagnement personnalisé. Parallèlement, nous avons travaillé avec l’Agefiph (l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées), qui a financé une partie des salaires des personnes concernées, renforçant l’inclusion professionnelle au sein de l’équipe. Un soutien humain a été assuré par des pairs-aidants, formés pour accompagner les participants et faciliter les échanges. Le tournage est ainsi devenu un espace d’expression où chacun pouvait se sentir écouté et reconnu.
Quand sortira le film et comment sera-t-il diffusé ?
Le film sortira en 2026. Une trentaine d’avant-premières ont déjà été organisées et une vingtaine d’autres sont prévues d’ici la fin de l’année. Chaque projection est suivie d’échanges avec l’équipe, en partenariat avec des structures de santé, des maisons des adolescents, des missions locales ou des réseaux d’entreprises. Nous avons un double objectif : déconstruire les préjugés persistants autour de la santé mentale et ouvrir un espace de dialogue sur ce sujet trop souvent relégué au second plan. Des actions spécifiques sont prévues pour les entreprises, associant un membre de la production et un participant du film afin de partager directement leur expérience. Des projections seront également organisées à destination des jeunes, en partenariat avec les établissements scolaires, et seront accompagnées de débats animés par des spécialistes de la santé mentale. Comme le souligne l’un des participants dans le film, « la schizophrénie est la maladie de la solitude », rappelant l’importance de développer des espaces d’écoute et de soutien.
Quel impact ce projet a-t-il eu sur votre regard et que souhaitez-vous transmettre au public ?
Ce projet a profondément modifié ma manière d’appréhender la santé mentale, tant sur le plan professionnel que personnel. J’ai appris à écouter avec attention et à accueillir des paroles parfois difficiles, sans jugement. Un pair-aidant m’a particulièrement touché : sa question sincère « Comment ça va ? » ouvrait un véritable espace d’expression, dépassant largement une simple formule de politesse. Au-delà de cet impact personnel, le film invite le spectateur à dépasser les clichés et à ressentir pleinement l’expérience des participants. Les projections et débats accompagnant le film renforcent ce message en donnant à chacun la chance d’entendre, de partager et de questionner ses propres préjugés.
Quels sont vos projets dans les mois à venir ?
Nous travaillons actuellement sur une série avec l’apprenti chef-opérateur et avons déjà produit le prochain court-métrage de l’apprentie réalisatrice. Soyons Fous continue de fonctionner comme un véritable laboratoire de création et d’inclusion, qui ouvre de nouvelles perspectives pour tous.
Tournage du projet cinématographique Soyons Fous
Crédit photos : © Beyond Production et Quentin Perez