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Migrations Santé Alsace : renforcer la coopération entre interprètes et soignants

22 juillet 2025

Dans la région Grand Est, l’accès aux soins des personnes non francophones reste un défi majeur. Pour y répondre, Migrations Santé Alsace mène un projet innovant visant à renforcer la collaboration entre interprètes et professionnels de santé en soins de premier recours. Entretien avec Hatice Küp, Responsable de l’interprétariat et du développement de projets de l’association.

Ce projet, déployé dans le Bas-Rhin (Strasbourg) et le Haut-Rhin (Mulhouse), est soutenu depuis 2022 par la Fondation de France. À travers la mise en place de groupes de travail interprofessionnels, l’objectif est de structurer et améliorer la coopération entre soignants et interprètes afin de garantir une prise en charge adaptée aux patients allophones.

En quoi consiste votre projet et à quels enjeux souhaitez-vous répondre par ce biais ?

Notre projet a pour objectif de renforcer la coopération entre les interprètes professionnels et les équipes de soins de premier recours, afin d’assurer une prise en charge de qualité pour les patients non ou peu francophones.

Ces dernières années, en Alsace, l’interprétariat a pris une place croissante au sein des dispositifs de soins de premier recours, comme les Permanence d'Accès aux Soins de Santé (PASS), les Equipes Mobiles Psychiatrie-Précarité (EMPP), les Maisons de Santé Urbaines et Participatives, les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), et dans les associations spécialisées. Ces structures constituent souvent le premier point de contact entre la population et le système de santé. Elles sont des leviers essentiels pour faciliter l'accès aux soins et aux droits des personnes en situation de vulnérabilités sociales, administratives ou linguistiques.

Dans ce contexte, il est important d’intégrer l’interprétariat professionnel de manière systématique et reconnue dans les pratiques soignantes. Ce métier, encore trop souvent invisible et méconnu, est indispensable pour garantir un égal accès aux droits et aux soins. L’interprétariat ne doit pas être considéré comme un simple outil de communication : c’est un véritable métier du soin, au croisement de la santé publique et de la promotion de la santé. Cette reconnaissance implique de repenser les pratiques professionnelles, la coordination et les conditions de travail tout en tenant compte des enjeux organisationnels et déontologiques de cette coopération.

Notre démarche se distingue aussi par son approche participative : avec 24 patients, 19 professionnels de santé et 18 interprètes, nous avons co-construit des recommandations concrètes sur l’usage de l’interprétariat dans les soins de premier recours.

Comment sont intégrés les patients allophones dans le projet ?

Nous avons souhaité placer les patients au cœur de la démarche. Pour recueillir leurs témoignages, nous avons mobilisé différentes méthodes : focus groups, entretiens semi-directifs et questionnaires.

Cette participation a été rendue possible grâce à l’appui de nos interprètes professionnels et de nos partenaires de terrain, qui ont facilité la mise en relation avec les patients et contribué à instaurer un climat de confiance favorable à l’expression de leur parole.

Nous avons interrogé les patients sur leurs expériences de consultations avec interprètes, les différentes modalités d’interprétariat utilisés (famille, proche, enfant, logiciel de traduction etc.), les relations patient–interprète–médecin, et les préconisations pour l’amélioration du dispositif d’interprétariat professionnel. En combinant toutes ces ressources, nous avons ainsi pu élaborer des recommandations ancrées dans l’expérience réelle des usagers du système de soins.

Quels premiers enseignements avez-vous tirés des groupes de travail interprofessionnels entre interprètes et professionnels de santé ? Comment se traduisent-ils en actions concrètes ?

Tout d’abord, l’importance de définir un cadre de coopération clair entre les professionnels de santé et les interprètes est ressortie. Ces deux groupes ont des rôles distincts avec des responsabilités et des contraintes propres, ce qui soulève des questions pratiques et déontologiques. Il en résulte une nécessité de se coordonner : anticiper la place de l’interprète dans l’équipe soignante permet d’éviter les malentendus et d’instaurer une dynamique équilibrée pendant les consultations.

Il est aussi apparu que la mise en application des principes déontologiques de l’interprète repose autant sur la formation de ces derniers que sur la qualité de la coopération avec les professionnels. C’est pourquoi nous avons intégré à notre catalogue de formation un module spécial dédié à la coopération avec les interprètes. Enfin, la parole des usagers du système de santé, qui a constitué le socle de cette initiative, ainsi que les groupes de travail interprofessionnels, ont permis de faire émerger des problématiques et des enjeux allant bien au-delà du cadre initial du projet.

Ce travail a conduit à deux constats majeurs : la nécessité de produire des recommandations ciblées en fonction des niveaux d’intervention de l’interprétariat, et l’importance d’élargir le recours à l’interprétariat professionnel à d’autres contextes où les barrières linguistiques compromettent l’accès aux droits et aux services.

Parmi les recommandations concrètes issues de cette démarche figure tout d’abord l’élargissement de l'accès à l’interprétariat professionnel, tant dans le milieu éducatif que dans les administrations publiques telles que la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) ou la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), ainsi que dans le domaine social. Il est également proposé de définir, dans la continuité des travaux initiés par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), un modèle économique viable et des modalités de déploiement d’un service d’interprétariat efficient à l’échelle nationale. Enfin, il est recommandé d’inscrire dans le Code de la santé publique l’interdiction du recours aux enfants interprètes, conformément à l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours primer dans les décisions le concernant.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Nous avons déjà commencé à diffuser nos recommandations au sein du Réseau de l'Interprétariat Médical Et Social (RIMES), lors de nos formations etc. Nous finaliserons le document en intégrant les retours issus de notre journée d’étude sur « L’interprétariat médical et social professionnel, garant du respect des droits fondamentaux », organisée en 2024 au Lieu d’Europe.

Par ailleurs, notre démarche d’implication des premiers concernés dans la co-construction de nos projets s’est étendue à d’autres actions de l’association. Dans le cadre de nos actions de prévention et de lutte contre les discriminations en santé, nous avons ainsi élargi notre intervention aux usagers du système de santé vivant en Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV). Les habitant de ces quartiers rencontrent souvent des difficultés à identifier les discriminations dans le domaine de la santé.

Pour mieux comprendre leurs expériences et besoins spécifiques, nous avons constitué deux groupes de travail avec des habitants de QPV issus de régions différentes. Ce travail aboutira à la création d’un jeu de plateau, outil ludique et pédagogique destiné à sensibiliser le grand public aux discriminations dans le système de santé, qui sera diffusé à l’échelle nationale.

Vous êtes également membre du comité 'Solidarité Turquie-Syrie' de la Fondation de France. Pourquoi avez-vous rejoint le comité et en quoi consiste votre engagement ?

Les séismes dévastateurs du 6 février 2023, qui ont frappé le Sud-Est de la Turquie et le Nord de la Syrie, ont causé des dizaines de milliers de victimes et des destructions immenses. Étant moi-même originaire de Turquie, j’ai été profondément bouleversée par cette catastrophe humanitaire d’une ampleur historique. Il m’a donc paru tout naturel de m’engager au sein du comité "Solidarité Turquie-Syrie" de la Fondation de France, d’autant plus que je connaissais bien l’implication de la fondation dans la réponse aux urgences humanitaires.

Au sein du comité, mon rôle est de contribuer à l’analyse des projets proposés, et d’émettre des avis sur leur pertinence en tenant compte des réalités locales et des besoins prioritaires. J’ai également eu la chance de participer à des missions de terrain, où j’ai pu rencontrer directement les partenaires locaux et les populations sinistrées. Ces échanges ont permis de mieux comprendre les enjeux, d’apporter des recommandations concrètes et de suivre de près la mise en œuvre des projets soutenus afin de garantir leur efficacité.

© Crédit photo : MSA


POUR ALLER PLUS LOIN

→ La Fondation de France Grand-Est