« Philanthropie bleue » : protéger les mers et les océans
Gardien de l’équilibre écologique de notre planète, l’Océan est de plus en plus menacé par les effets du changement climatique et des activités humaines. Alors que s’est tenue en juin la troisième Conférence des Nations Unies pour l’Océan (UNOC), les acteurs philanthropiques renforcent leur engagement pour préserver les écosystèmes marins et littoraux. Retour sur quelques exemples concrets d’actions menées.
L’Océan abrite 80 % de toutes les formes de vie sur la planète, fournit la moitié de notre oxygène et représente 97 % de nos réserves d’eau. Il joue un rôle majeur dans la régulation du climat, en absorbant notamment d’importantes quantités de CO2. Pourtant, de nombreuses menaces pèsent sur son équilibre : dérèglement climatique, surpêche, pollutions… Il y a urgence à agir.
Si la protection des mers et des océans a longtemps été intégrée dans des programmes environnementaux plus larges, le sujet gagne en considération depuis quelques années, notamment grâce à des événements d’envergure mondiale. Il y a 10 ans, la COP21 a marqué un tournant dans la mobilisation en faveur de l’Océan. En juin dernier à Nice, l’UNOC a réuni plus de 150 représentants d’Etats, mais aussi des associations, des scientifiques, des entreprises du secteur maritime, et a permis d’importantes avancées dans la protection de la biodiversité marine et la lutte contre les pollutions et méthodes de pêche destructrices.
Dans ce contexte, les fondations ont un rôle important à jouer : qu’il s’agisse de soutenir des associations qui agissent concrètement pour lutter contre toutes les formes de pollution, de sensibiliser, d’alerter, de développer la recherche, de mener des expérimentations, de favoriser la concertation et la coordination indispensables pour mettre en œuvre des solutions efficaces…
Contribuer à dépolluer les océans
Premier grand axe d’action sur lequel des fondations se mobilisent depuis de nombreuses années, la dépollution des océans. Et pour cause : on retrouve aujourd’hui plus de 150 millions de tonnes de plastiques dans les océans. Selon la Fondation Ellen Macarthur , ils pourraient contenir plus de plastique que de poissons d'ici 2050.
Par exemple, l’association Wings of the Ocean , soutenue par la Fondation Léa Nature et la Fondation Crédit Mutuel Alliance Fédérale, a fait de la lutte contre le plastique en mer autour des côtes françaises son cheval de bataille depuis sa création en 2018. L’association organise, via ses 18 antennes locales, des programmes de dépollution dans lesquels les bénévoles impliquent également les collectivités locales, les associations et les habitants. Ces programmes visent à nettoyer les littoraux des déchets, notamment plastiques, sur les plages et à bord de deux navires qui appartiennent à l’association. Celle-ci va plus loin en revalorisant ces déchets avec les filières de recyclage locales, et en sensibilisant à un mode de vie zéro-déchet.
Autre exemple de programme d’action, « Repêchons les océans », développé par la Fondation de la Mer et la Fondation Ecoalf en collaboration avec les acteurs de la filière pêche et recyclage en France. « Les pêcheurs récupèrent les déchets qu’ils attrapent dans leurs filets. Au lieu d'être rejetés à la mer, ces déchets sont ensuite déposés dans des containers spécifiques sur le port et régulièrement transportés vers des usines de traitement pour être triés », explique Alexandre Iaschine, directeur général de la Fondation de la Mer. Avec un réseau de 12 ports et 300 bateaux partenaires, 34 tonnes de déchets marins ont ainsi été collectés en 2024 au large des côtes françaises. « Nous avons également développé des partenariats avec des entreprises, pour créer de nouveaux matériaux et objets à partir de ces déchets marins, comme du fil utilisé dans l’industrie textile ou bien du mobilier urbain », précise Alexandre Iaschine. La Fondation de la Mer soutient également de nombreuses actions de recherche, de sensibilisation et de sauvegarde d’espèces menacées (tortues, requins…) et d’écosystèmes (récifs coralliens, mangroves, herbiers marins…).
Protéger la biodiversité marine
Si les pollutions menacent la biodiversité marine, le réchauffement climatique, la surpêche, l’extraction des ressources sous-marines la mettent aussi sous pression… La défense de la biodiversité est au cœur de la mission de la Fondation Nature & Découvertes, qui a soutenu depuis sa création en 1994 plus de 3 300 initiatives pour un montant de 15,6 millions d’euros. Grâce à l’appui des 90 magasins Nature & Découvertes et du système d’arrondis en caisse, la fondation organise des opérations « coups de main » en faveur d’une sélection de projets réalisée par les équipes de chaque magasin. Un dispositif dont le programme Longitude 181 sur l’île de la Réunion, également soutenu par la Fondation Iris, a pu bénéficier. L’objectif de ce programme : lutter contre l’abattage systématique des requins en menant des actions de plaidoyer fondées sur des études qui montrent que leur comportement s’explique pour partie par la gestion des stations d’épuration sur l’île. Les eaux usées déversées en mer sont en effet chargées de toutes sortes de déchets organiques dont l’odeur attire les prédateurs de très loin. Par ailleurs, ces eaux sont troubles, ce qui réduit la vision du requin et peut l’entraîner à prendre un baigneur pour une proie animale.
A côté de ces initiatives locales, la Fondation Nature & Découvertes soutient également les campagnes de sensibilisation de l’association BLOOM qui se mobilise pour mettre fin aux méthodes de pêche qui détruisent l'écosystème marin, comme le chalutage en eaux profondes ou la pêche électrique. « C’est très important de sensibiliser un large public sur le fait que manger du poisson, encore très majoritairement pêché au chalut, a aujourd’hui de lourds impacts sur la biodiversité de l’Océan et sur son fonctionnement. Nous devons changer nos méthodes de pêche en ciblant des espèces non menacées et dans le respect de leurs cycles de reproduction », précise David Sève, directeur de la Fondation Nature & Découvertes.
Parmi les initiatives pour préserver la biodiversité marine, citons également le lancement en 2020 du Fonds mondial pour les récifs coralliens , initié par les Nations Unies, la Fondation Prince Albert II de Monaco et la Fondation de la famille Paul G Allen. Dédié à l’Objectif de Développement Durable « Vie aquatique » et premier instrument financier mondial combinant des fonds publics et privés, il vise à débloquer deux milliards de dollars d’investissements au profit de ces récifs, dont le blanchissement est un signal d’alarme majeur pour toute la chaîne du vivant. Le Fonds met ainsi en place des programmes d’investissement locaux, comme par exemple en Égypte où 50 millions de dollars ont été consacrés en 2024 à des actions de conservation des récifs coralliens de la mer Rouge, mais aussi de recyclage de déchets et de modification des systèmes d’amarrage des bateaux pour protéger les écosystèmes.
Développer la recherche et la diffusion de connaissances scientifiques
Si l’on veut protéger efficacement l’Océan et les mers, il faut aussi comprendre leur fonctionnement et les menaces qui pèsent sur eux. La recherche est ainsi au cœur de nombreux projets soutenus par la philanthropie bleue. Certaines fondations en ont même fait leur mission principale, notamment la Fondation Tara Océan .
Créée en 2003 par Agnès Troublé dite agnès b., il s’agit de la première fondation reconnue d'utilité publique consacrée à l'Océan en France. Elle possède deux navires d’exploration scientifique : la goélette Tara qui a déjà réalisé 12 expéditions, notamment pour étudier le plancton (cartographie de sa variété et étude de sa vulnérabilité face au changement climatique et à la pollution), et Tara Polar Station, qui débutera en 2026 son exploration du pôle Nord, sentinelle du changement climatique. « Tout ce qui s’y passe se répercute sur le reste de la planète et malheureusement le pôle Nord se réchauffe environ 3 fois plus vite que le reste du globe », explique Jonathan Achard, responsable de la philanthropie de la Fondation Tara Océan. Des observations destinées à être partagées : « Les données collectées sont mises à disposition des scientifiques du monde entier par un système en open data. Plus de 1 100 articles scientifiques basés sur nos échantillons ont été publiés dans les plus grandes revues », précise Jonathan Achard.
La Fondation Tara Océan est également membre de la Plateforme Océan Climat (POC) qui favorise le partage des connaissances sur l’Océan. Fondée en 2014, cette plateforme regroupe plus de 110 membres (organismes scientifiques, institutions de recherche, associations, fondations…) pour une meilleure prise en compte de l’Océan dans les négociations climatiques. Parmi ses projets emblématiques, Sea’ties, un programme mondial pour favoriser l’adaptation des zones littorales face au risque de submersion marine. Ses objectifs : diffuser les données scientifiques auprès des acteurs concernés, identifier les réponses mises en œuvre dans les villes côtières et favoriser le partage d’expériences pour soutenir des politiques publiques d’adaptation.
Le programme Littoral & Mer de la Fondation de France : de la recherche à l’action
Depuis de nombreuses années, la Fondation de France s’engage dans la protection des territoires du littoral et des espaces marins. En 2011, elle a notamment lancé le programme Littoral & Mer afin de faire émerger de nouvelles formes d’actions collectives, de développer et partager les connaissances sur ces territoires fragiles, et de mettre en place des solutions concrètes. En 15 ans, le programme a accompagné 226 projets pour un montant total de 23 millions d’euros. Clôturé en 2024, ses acquis nourrissent aujourd’hui les collectifs d’action de la Fondation de France, en particulier les collectifs « Transition écologique juste » et « Crises et Catastrophes ».
Selon Yves Henocque, président du comité d’experts de 2017 à 2024, le programme Littoral & Mer a été précurseur dans la mise en œuvre de l’action collective : « Notre comité était composé de scientifiques, d’acteurs institutionnels, d’anciens administrateurs de collectivités, de représentants d’associations… Cette diversité a permis d’aborder les projets de manière très transversale ».
« Le programme constitue une base très riche pour le collectif d’action Transition écologique juste de la Fondation de France. La reprise de projets comme le programme BioLit, porté par l’association Planète Mer, se fait très naturellement et contribue à la pérennité de nos actions », poursuit Xavier Lafont, membre du comité d’experts du programme Littoral & Mer de 2017 à 2024 et aujourd’hui membre du collectif « Transition écologique juste ».
Agir ensemble
Défendre les mers et les océans nécessite d’impliquer des acteurs très différents et de conjuguer des intérêts (économiques, sociaux, écologiques…) souvent contradictoires. Sans coopération, le sujet risque d’aboutir à une impasse. C’est pourquoi certaines fondations se mobilisent pour développer la concertation et trouver des voies de consensus. La Fondation de France soutient par exemple l’association Planète Mer qui a mis en place le programme PELA-Méd afin de garantir une pêche durable et responsable dans le département du Var. Plusieurs enjeux ont été identifiés : lutter contre le braconnage, produire des connaissances sur les activités de pêche, restaurer et cogérer les ressources halieutiques côtières, etc. Le programme favorise la concertation entre toutes les parties prenantes : pêcheurs professionnels, associations, représentants du Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins du Var…
Pour renforcer leur impact, les acteurs de la philanthropie bleue privilégient également l’action collective : « Face à l’ampleur des défis, aucune structure ne peut agir seule. La mobilisation collective est aujourd’hui la seule voie possible pour engager un changement profond. Il est crucial que chaque acteur prenne sa part, en complémentarité : Etats, société civile, acteurs privés... La philanthropie a un rôle à jouer dans cette alliance », explique Laetitia Bertholet, responsable Grande cause Climat et Biodiversité à la Fondation de France. Un exemple de mobilisation collective : l’Appel des fonds et fondations pour l’Océan, lancé en avril dernier par le collectif d'action « Transition écologique juste » de la Fondation de France, l'association des fondations familiales Un Esprit de Famille , le CFF , la Fondation Terre Solidaire , l'Admical , la Fondation du Patrimoine et la Fondation de la Mer. En partant du constat que « sans mer, il n'y a pas de vie possible sur terre », cet Appel vise à mobiliser le maximum d’acteurs pour préserver les ressources en eau, protéger la biodiversité littorale et marine, lutter contre les perturbations de l’environnement marin, développer des pratiques de pêche durable… Plus de 50 structures philanthropiques ont déjà signé cet Appel.
Autre exemple à l’échelle internationale : le dispositif « Décennie de l'Océan » lancé en janvier 2021 par les Nations Unies qui met en réseau les acteurs de la protection de l’Océan sur un espace digital dédié . Il regroupe 25 acteurs de la philanthropie, dont la Fondation pour la Grande Barrière de Corail et la Fondation Albert II de Monaco, mais aussi des instituts de recherche et de nombreux États et organisations internationales.
Des collaborations qui portent leurs fruits, comme sur la protection du thon rouge. En 2008, la Fondation Albert II de Monaco s’est associée à l’ONG WWF pour préserver le thon rouge de l’extinction écologique. Pour atteindre leur objectif, ils ont mobilisé l’État monégasque qui a banni la consommation de thon rouge sur son territoire. En 2010, de nombreux États européens ont inscrit le thon rouge comme espèce interdite au commerce international et, aujourd’hui, le thon rouge n’est plus menacé d’extinction.
Les États s’engagent à l’UNOC
- Le traité international sur la protection de la biodiversité en haute mer a été ratifié par près de 20 pays et entrera en vigueur en 2026.
- 96 pays sont engagés pour un traité sur les plastiques incluant la réduction de leur production et de leur toxicité.
- 103 États ont ratifié l’accord de l’Organisation Mondiale du Commerce contre les subventions de techniques de pêche destructrices.
- Des annonces concrètes ont été faites pour rapprocher la communauté internationale de l’objectif de 30 % d’Aires Marines Protégées d’ici 2030.
POUR ALLER PLUS LOIN
→ La Fondation de France lance le dispositif Océan 2025
→ Littoral & mer : un programme pionnier pour des territoires résilients et solidaires
→ Développer la philanthropie