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« Pas besoin d’être un héros pour être philanthrope » par Sophie Marinopoulos

Points de vue 27 Avr.2021
© Nathalie Bourreau​

Sophie Marinopoulos est psychologue et psychanalyste. Elle a créé il y a 22 ans l’association Les Pâtes au beurre, des lieux d’entraide et d’écoute pour parents et enfants. Sophie Marinopoulos a participé à la commission d’experts consacrée aux 1000 premiers jours de l’enfant, et a également remis un rapport* en 2019 à Franck Riester sur l’importance de la culture dès la naissance. Elle nous explique sa vision de la philanthropie.

Quelle vision avez-vous de la philanthropie ?

Derrière la question de la philanthropie, il y a bien sûr la générosité, le don, l’intérêt général… mais à mes yeux, la philanthropie, c’est avant tout du temps partagé, c’est prendre soin les uns des autres. Vivre ensemble, c’est faire ensemble. On ne peut pas être philanthrope tout seul. Notre espèce a besoin de relations. Un bébé, quand il naît, a besoin de sa mère, de son père… C’est une question de survie ! Nous ne pouvons pas vivre sans les autres.

Quels sont selon vous les domaines dans lesquels la philanthropie a le plus de légitimité?

La philanthropie doit s’infiltrer dans tous les champs de l’intérêt général, avec une attention particulière pour la santé et la culture. Car la santé n’appartient pas uniquement au domaine médical. En tant que psychologue, je constate que nos enfants ne vont pas bien et leurs parents non plus. Il y a une mauvaise santé relationnelle.

Grandir n’est pas si simple, nos bébés connaissent de grandes étapes de maturation. Or, aujourd'hui, il faut que tout aille vite. On escamote sans cesse la croissance des tout-petits, qui sont l’avenir de notre société. Les bébés sont gourmands de rythmes et de répétitions, c’est comme ça qu’il transforme l’inconnu en connu, et qu’ils deviennent moins angoissés. Mais, cette préoccupation ne fait pas partie du champ de la santé. On a oublié que la santé était de la relation. Notre modernité est inscrite dans une vitesse dans laquelle on n’arrive plus à se raconter, ni à échanger. Les gens ne savent plus se parler, mettre des mots sur leurs émotions. C’est pour cela que la violence monte, on sent aujourd’hui quelque chose prêt à exploser... Nos enfants sont bien nourris mais malnutris culturellement, dans leurs relations, dans leur éveil. Or, la philanthropie peut aider à lutter contre cette malnutrition culturelle,  en soutenant davantage la parole des tout-petits, en leur donnant la possibilité d’exprimer ce qu’ils ressentent.

Sur le sujet de l'enfance, comment doit s'articuler l'action de la philanthropie avec celle de l'Etat ?

Une politique qui vient rappeler l’importance de la philanthropie doit être une politique de l’État. Par exemple, si la loi du travail stipulait qu’un salarié doit travailler tant d’heures pour l’entreprise, et consacrer tant d’heures à l’engagement philanthropique de son choix, chacun prendrait soin de notre société. C’est ça l’intérêt général : l’individu prend soin du collectif, le fait passer avant son propre intérêt. L’individu doit se sentir accompagné, encouragé. Il y aura toujours de grands philanthropes qui feront plus, qui y consacreront leur vie. Mais chacun d’entre nous doit s’approprier la philanthropie. Il n’y pas de héros, nous avons tous la capacité à être philanthrope. Un apprentissage que devrait davantage soutenir l’Éducation nationale : tous les enfants devraient être engagés en philanthropie.

Vous-même avez créé il y a quelques années l’association Les Pâtes au beurre, d’où vous vient votre engagement ?

Mon engagement trouve ses racines dans mon histoire familiale. L’un de mes aïeuls, Frédéric Passy, a été le premier prix Nobel de la Paix, en 1901. Il rappelait qu’il était plus facile de faire la guerre que de gagner la paix. Mon père était lui aussi un grand humaniste. Ce n’était pas un héros, mais il était porteur de valeurs sur lesquelles il n’aurait jamais transigé : la générosité, le don de soi, l’attention aux autres. Quand on est pris dans ce maillage familial, ça colore votre manière de regarder le monde dès votre naissance.

Au milieu des années 90, en tant que psychologue, j’ai vu l’hôpital se transformer. Dans la maternité où je travaillais, des normes ont été mises en place, la manière de recevoir les patients nous était imposée, notamment la durée des consultations. Alors qu’il faut du temps : l’angoisse ne se dit pas facilement. Comment un soignant sous pression peut-il bien faire son travail et prendre soin des autres ? En parallèle, je travaillais dans un centre médico-psycho-pédagogique : il y avait un an d’attente pour recevoir un parent ! J’étais en porte-à-faux avec mes valeurs, avec ce que ma famille m’avait appris, m’avait donné. C’est pour cela que j’ai créé Les Pâtes au beurre, pour que les parents sachent que nous étions là quand ils en avaient besoin.

En quoi consistent Les Pâtes au beurre et pourquoi ce nom ?

Les Pâtes au beurre sont nées à Nantes (d’où le beurre !), ce sont des espaces d’entraide ouverts, gratuits, anonymes et sans rendez-vous. Les parents peuvent venir, avec ou sans leurs enfants, et sont reçus par des professionnels : psychologues, psychanalystes, psychomotriciens… Nous accueillons la parole. Nous ne savons jamais qui, ni combien de personnes vont venir, nous nous adaptons à l’imprévu, à la diversité des situations, des milieux sociaux et culturels. Je me suis inspirée de Selma Fraiberg, une assistante sociale américaine devenue une psychanalyste de renom, qui travaillait avec le quart monde américain. Elle aidait les familles démunies, et s’installait là où les gens vivaient : dans leur cuisine. C’est une pièce extraordinaire, un lieu de confidence où l’on se dit plus facilement les choses par la médiation d’un repas, d’une boisson partagée. Et c’est une pièce familière, quel que soit le milieu social.

Les Pâtes au beurre, qui comptent désormais 10 espaces d’accueil en France, sont des espaces de rencontres. Ils ne sont jamais situés dans des quartiers prioritaires, ni dans des quartiers favorisés. Les gens, aussi différents soient-ils, se rendent compte qu’ils ont un dénominateur commun : ils se préoccupent de leur enfant. Quand on prend soin des enfants, on prend soin de la société. Alors il faut aussi prendre soin des parents qui prennent soin des enfants. Ces évidences sont devenues des sujets à défendre.

Pensez-vous que cette crise sanitaire va conduire la philanthropie, le monde associatif à se réinventer ?

Dès la mise en place du premier confinement, nous avons su nous adapter. Nous connaissons bien les familles, nous savions que cette période allait être très compliquée pour certains, creusant les inégalités matérielles bien sûr, mais aussi culturelles. Les Pâtes au beurre ont mis en place, avec le soutien de la Fondation de France, une ligne téléphonique de 9h à 21h, avec 42 psychologues qui se succédaient, et ce dès le 19 mars. Nous sommes une structure légère, nous avons pu être très efficaces.

Les associations sont souvent malmenées, parfois même méprisées. Nous travaillons sur une matière qui ne se palpe pas, nous ne vendons rien. Cette économie sociale et populaire souffre en ce moment. C’est très paradoxal car la société a besoin de nous, nous avons prouvé notre rôle ces derniers mois, grâce à notre capacité à repérer ceux qui en ont besoin, à créer du lien social. Nous dépasserons cette crise à la seule condition d'être soudés et capables de rester en contact les uns avec les autres. Il est nécessaire de donner aux associations davantage de moyens d’agir, et de leur faire confiance.

Quelle est votre plus grande satisfaction personnelle ?

Ma plus grande satisfaction : rencontrer aux Pâtes au beurre des gens extraordinaires qui s’engagent et portent des valeurs, qui sont généreux et répondent présents pour ces familles. Vingt-deux ans après leur création, Les Pâtes au beurre sont toujours là, ce qui signifie que cette philanthropie a du sens. On l’a défendue contre vents et marées, et nous savons qu’il ne faut pas lâcher. Nous refusons que la société abime les enfants et leurs parents.

*Le rapport de la psychanalyste Sophie Marinopoulos Une stratégie nationale pour la santé culturelle – Promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à 3 ans dans le lien à son parent, a été remis à Franck Riester, ministre de la Culture, le 4 juin 2019. Commandé en août 2018 par Françoise Nyssen, il s’inscrit dans la politique interministérielle en faveur de l’éveil artistique et culturel des jeunes enfants.

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