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Le droit à la beauté pour tous

Points de vue 24 Jan.2018

Depuis vos premiers pas comme danseuse, en passant par la création de votre compagnie en tant que chorégraphe, puis la direction d’institutions culturelles prestigieuses, quel a été votre fil rouge dans votre parcours ?

Lorsque j’ai débuté la danse à 6 ans, j’ai immédiatement annoncé à ma mère que je voulais devenir danseuse. Après le bac, je suis montée à Paris et de façon un peu stakhanoviste, j’ai pris tous les cours de danse possibles. Vivre de sa passion, se nourrir intellectuellement et humainement par son métier, c’est une sorte de conte de fée qui n’arrive pas toujours. La rencontre avec le chorégraphe José Montalvo a donné lieu à une complicité artistique qui a duré 30 ans. Il m’a apporté une ouverture, une curiosité et une exigence d’invention qui me manquaient dans la danse classique. Nous avons été candidats à des concours internationaux et avons eu accès à la reconnaissance après cinq à dix ans de recherche. Ça a été un travail long et exigeant, qui a finalement produit une forme artistique ludique, lumineuse, positive. C’est un art du métissage.

J’ai dansé pendant 20 ans et j’ai eu la chance de connaître un succès mondial. J’ai ensuite pris la direction du Centre chorégraphique de Créteil, puis celle du théâtre national de Chaillot. Et enfin, j’ai accepté de venir à Lyon parce que j’ai tout de suite adhéré à l’identité de cette ville : Lyon est un véritable territoire de danse.

La base continue de mon travail, je la définis comme une esthétique de l’accueil, de l’échange. Quel que soit mon rôle, chorégraphe ou interprète, j’ai toujours consacré une bonne partie de mon temps à la transmission. Je pense qu’on doit avoir l’exigence d’amener l’art là où on ne l’attend pas : dans les hôpitaux psychiatriques, en prison, auprès des enfants malades, dans les écoles et les universités.

Comment la pratique artistique peut-elle être le lieu d’un engagement social et un vecteur d’émancipation ? Quels sont les obstacles et les défis ?

Le fondement de cette démarche de transmission, c’est d’élaborer une pratique de la danse qui a pour finalité l’émancipation et l’épanouissement de tous. Chacun doit pouvoir « s’inventer » à  partir d’expériences artistiques riches et d’une multiplicité de modèles, afin d’acquérir la liberté d’être soi-même et de se différencier des autres. La danse contemporaine a permis de s’émanciper de l’idéal de virtuosité pré-modélisé de la danse classique, et cet apport esthétique et éthique de la modernité  est très important pour la transmission.

À Créteil, j’ai souhaité créer des projets chorégraphiques avec les habitants. C’est une banlieue avec des problèmes d’intolérance, d’exclusion, de communautarisme. Je n’avais pas la prétention de penser que la danse pouvait résoudre à elle seule ces problèmes, mais j’étais convaincue qu’elle pouvait apporter une éclaircie dans la vie des gens. Une aventure de création artistique peut ouvrir de nouvelles perspectives, de nouveaux possibles dans la vie des personnes exclues de la culture. Dans un contexte où les gens vivent beaucoup de choses figées, verrouillées, l’art peut leur apporter énormément. Par exemple, la danse permet d’expérimenter des relations inédites et positives avec une personne ou l’ensemble d’un groupe. Elle permet l’apprentissage du partage et d’une sensibilité corporelle, ainsi que la réalisation de projets communs. Nous avons mené ce travail avec des adolescents, des enfants, des gens empêchés pour qu’ils puissent vivre cette sensation de liberté et d’émancipation et qu’à terme, ils puissent la « reconduire » eux-mêmes.

À la Maison de la Danse de Lyon, j’ai continué à proposer une grande diversité esthétique, une pluralité de styles afin d’élargir le public. De fait la Maison de la Danse a une dimension très grand public parce qu’elle est populaire, accueillante, festive. C’est complètement compatible avec une programmation artistique pointue et audacieuse. La Biennale de la danse est aussi un arc-en-ciel entre le populaire, la fédération des publics et les artistes de demain. C’est là qu’on peut parler d’art citoyen, car le but est de donner à tous les moyens d’accéder à l’art de son temps, de devenir un amateur d’art cultivé, critique et éclairé. Je tente de transmettre au public un esprit de curiosité  pour qu’il jouisse de la création actuelle, des œuvres les plus audacieuses. Cela n’exclue ni le plaisir, ni les œuvres joyeuses.

Comment la philanthropie peut-elle faire évoluer les regards et les pratiques ?

En tant qu’artiste, se pose la question : à quoi sert notre art ? Que peut-il apporter à notre société fracturée ? Au-delà de l’expérience esthétique et émotionnelle, la danse a-t-elle un rôle à jouer socialement ?

Ma réponse est qu’en pratiquant la danse, on élabore de façon très intime et profonde sa capacité à construire un espace sensible et poétique avec l’autre. Le « vivre ensemble » ne se décrète pas, il s’éprouve et se construit. Au « vivre ensemble » je préfère le « faire ensemble », c’est-à-dire la capacité d’imaginer et de créer un projet artistique commun. C’est à travers la mise en jeu de l’imagination  de chacun, de la reconnaissance de la singularité de chacun que la transformation des êtres est la plus évidente, profonde et émouvante.

Les philanthropes se battent pour la diversité culturelle, la tolérance et l’inclusion. Ces valeurs peuvent être transposées en actes par les artistes par la voie de la sensibilité esthétique et de l’imagination. En proposant aux plus fragiles de vivre des expériences artistiques motivantes et inattendues, les artistes leur offrent des espaces concrets de transformation et d’émancipation. Ils travaillent non seulement pour donner accès à la beauté, mais aussi pour que tous les êtres puissent l’expérimenter dans leurs corps et dans une expérience collective. Les artistes philanthropes militent pour le droit à la beauté pour tous.

Par exemple quand je travaille avec une patiente atteinte d’Alzheimer, mon objectif est de déceler les parties saines qui restent chez cette personne. À partir de ces parties saines, je donne la possibilité à la patiente de développer des sensations de plaisir, de mouvement et d’imagination. Elle se concentre sur ces nouvelles sensations, ces émotions inattendues, loin de l’inventaire de tout ce qu’elle ne peut plus faire. Ces expériences artistiques simples et positives permettent de retrouver du « possible », de la sensibilité et du plaisir. Ces rencontres sont profondément humaines car nous entrons en contact avec  la dignité de chacun, et la possibilité pour tous de découvrir chaque jour physiquement un espace d’expression et d’émotion, quels que soient son âge, sa condition et sa culture.

Cela implique beaucoup d’écoute et un peu d’improvisation car je travaille avec des êtres imprévisibles. Naturellement, cet art citoyen de l’inclusion ne fonctionne pas à tous les coups. L’enjeu est bien la transformation des êtres pour qu’ils aient accès à des valeurs d’ouverture et de tolérance. La durabilité de l’adhésion à ces valeurs, au-delà de la première étincelle, est notre but. C’est là le point commun avec la philanthropie qui, elle aussi, assume la prise de risque et conçoit le bénéfice de son action dans le temps long. Malgré ce risque d’échec, pour moi il est criminel de ne pas essayer !

Dans la région Rhône-Alpes, on retrouve un terreau catholique et humaniste toujours vivant, propice à l’engagement philanthropique. Nous avons célébré le 70e anniversaire des Petits Frères des Pauvres à la Maison de la Danse. Une compagnie new yorkaise a dansé gratuitement pour eux, et on travaille régulièrement avec eux au moment des Défilés de la Biennale. Il y a également beaucoup d’associations impliquées sur les Défilés, qui travaillent notamment sur l’alphabétisation et la réinsertion.

La philanthropie peut aussi répondre aux besoins qui ne sont pas visibles. La Fondation Yves Brieux-Ustaritz, sous l’égide de la Fondation de France (du nom d’un danseur surnommé « le professeur des étoiles » car il donnait des cours aux danseurs de l'opéra), a par exemple fourni des bourses à des danseurs contraints d’envisager une reconversion professionnelle, ce qui est un enjeu énorme.

L'auteur

Dominique Hervieu est une danseuse et chorégraphe de niveau international. Elle dirige aujourd’hui la Maison de la Danse de Lyon et est directrice artistique de la Biennale de la Danse. Au cœur de son engagement artistique, une volonté de transmission, notamment en amenant l’art où on ne l’attend pas.

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