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« La philanthropie dispose d’un atout fondamental : la liberté » par Francois Taddei

Points de vue 17 Jui.2022

 François Taddei © Pascale Lourmand / Calmann-Lévy François Taddei © Pascale Lourmand / Calmann-Lévy François Taddei est chercheur, spécialiste de la coopération, fondateur et directeur du Learning Planet Institute. Il est également l’auteur de rapports sur les questions éducatives. Il nous explique sa vision et son expérience de la philanthropie.

 

En quoi la philanthropie vous semble-t-elle nécessaire ?

Si la philanthropie signifie étymologiquement aimer son prochain, faire ce que l'on peut pour prendre soin des autres, cela représente un grand défi toujours renouvelé. Car pendant longtemps, héritiers des Lumières et d’une philosophie du progrès, nous avons pensé qu’on réglerait les problèmes au fur et à mesure. Mais aujourd'hui, force est de constater que les problèmes croissent plus vite que les solutions, c'est un fait majeur de notre époque. C'est le cas du changement climatique, de l'érosion de la biodiversité, de nouvelles formes d’obscurantisme qui attaquent une partie de l'héritage des Lumières, que ce soit la démocratie, l'éducation, les sciences, les droits humains. C’est aussi le retour de la violence comme mode de résolution de conflits, l’Ukraine en est un exemple frappant !

Quel rôle peut donc jouer la philanthropie pour résoudre ces problèmes ?

Traditionnellement, la philanthropie (ou la capacité à prendre soin) était mise en œuvre pour soi ou pour ses proches. Aujourd'hui, il est essentiel de prendre soin à de nouvelles échelles, y compris d’autres espèces, parce qu'on est tous interdépendants, et cela se manifeste dans toute sa complexité avec la pandémie du Covid-19 par exemple.

Depuis Aristote, on sait qu'il y a trois formes de connaissances : épistémè, technè et phronesis. Epistémè, la capacité à connaître le monde, a donné la science ; la technè a donné la technologie et phronesis correspond à l'éthique de l'action. L'éthique de l'action, c'est percevoir qu’une action peut avoir des effets non seulement sur nous, mais aussi sur les autres. Ces actions peuvent être désirables ou non et avoir des effets secondaires. Or, on découvre aujourd'hui que ces effets secondaires peuvent non seulement avoir lieu localement et instantanément, mais aussi globalement et sur le temps long. C’est le cas du changement climatique : aucun d'entre nous ne le souhaite, mais chacun d'entre nous, en consommant du carbone y contribue. Pour y répondre, il faut donc d’abord une prise de conscience, puis trouver des solutions qui permettent de passer à l'échelle. Cette complexité s’accroît encore avec les conséquences non anticipées de nos actions. Personne ne veut éroder la biodiversité mais de facto en consommant, et a fortiori en surconsommant, on épuise les ressources.

Dans la prise de conscience comme dans la recherche de solutions et la mise en place d’actions, la philanthropie a un rôle à jouer. Quand des philanthropes achètent un coin de forêt pour la replanter ou la préserver, ils contribuent simultanément à préserver la biodiversité et à limiter le réchauffement climatique.

Quels seraient selon vous les domaines d’intervention prioritaires de la philanthropie ?

La jeunesse ! La philanthropie s'est particulièrement intéressée à ce sujet majeur sur lequel il faut continuer de s’engager. Aujourd’hui plus de 75 % des jeunes sont angoissés par le futur, et ce chiffre date d'avant le retour de la guerre en Europe et la résurgence de la peur du nucléaire. Il est donc nécessaire de les écouter et de les aider.

Dans certains pays, les droits des enfants, qui sont ceux que l’Unicef et les Nations unies leur ont octroyés, dont celui d'être entendus sur tous les sujets qui les touchent, ne sont pas respectés. Et à mon sens, il manque au moins un droit fondamental : celui de demander de nouveaux droits. D’ailleurs quand on demande aux enfants quels nouveaux droits pourraient être explorés, ils répondent spontanément qu’il faudrait de nouveaux droits pour la nature par exemple, ou qu’ils aimeraient pouvoir voter sur les enjeux climatiques.

Les enfants n'ont toujours pas le droit de vote, un droit que les hommes n'ont pas toujours eu, les femmes encore moins. Pour quelles raisons ce droit fondamental a-t-il été refusé pendant si longtemps aux femmes par exemple ? Parce qu'elles n'étaient soi-disant pas suffisamment éduquées, pas suffisamment informées, pas suffisamment capables de comprendre la complexité des sujets, et parce qu’elles étaient trop influençables. Ce sont précisément ces quatre dimensions qu'on reproche aujourd'hui aux enfants. Il y a pourtant sur la planète beaucoup d’enfants qui sont plus informés que bien des adultes sur les grands défis du monde, comme le climat et la perte de la biodiversité. C'est avant tout le rôle de l'éducation que de les accompagner dans leurs explorations et dans la compréhension du monde. Donc si on donnait le droit de vote aux enfants dès la naissance, en l’octroyant à leurs parents, le temps que les enfants se sentent capables de voter, je pense qu'on changerait les dynamiques démocratiques dans lesquelles on est. Et l’on corrigerait ainsi un défaut de nos démocraties qui ont trop tendance à oublier ces nouvelles générations et à ne pas penser le temps long, ce que la philanthropie est en mesure de faire.

Nous sommes beaucoup d’acteurs à nous engager pour l’avenir des nouvelles générations par exemple via un soutien financier ou un engagement bénévole. Face à l’ampleur des besoins, il est nécessaire d’innover pour augmenter l’impact des actions menées ! C’est d’ailleurs le cœur de notre action au sein du Learning Planet Institute.

Comment l’action de la philanthropie s’articule-t-elle avec celle des acteurs publics ?

L'action publique, tout comme la philanthropie, sert l'intérêt général. Elle est démocratiquement décidée et passe par l’action des élus. Mais certaines causes, minoritaires par exemple, peuvent être portées dans un cadre associatif, philanthropique, par des fondations, là où la puissance publique n’agit pas toujours ; on peut penser par exemple au respect d’une minorité ou à une pathologie orpheline.

Autre différence : les pouvoirs publics ont certes des procédures et des capacités de mise en œuvre très puissantes, mais elles sont généralement très lourdes. Si bien que face à des problèmes émergents, la philanthropie a la capacité de se mobiliser de manière très rapide – comme elle l’a fait par exemple pour accompagner l’Ukraine dans cette période dramatique. Cette agilité et cette réactivité sont les caractéristiques majeures de la philanthropie.

Dispose-t-elle d’autres atouts ?

La philanthropie dispose d’un atout fondamental qu’est la liberté. Cette liberté lui permet d’identifier des causes qui n'auraient pas été perçues par d'autres, et de mener des actions concrètes pour y répondre. En 2006, le conseil d'administration de la Fondation Bettencourt Schueller a décidé de financer l’accompagnement de doctorants du CRI (devenu le Learning Planet Institute) souhaitant travailler sur des projets favorisant l'interdisciplinarité et la capacité à saisir de nouveaux enjeux scientifiques et sociétaux. Ce soutien, fondé sur la bienveillance, la confiance et la co-construction, a été essentiel et nous a permis de nous saisir de sujets émergents. Leur soutien illustre parfaitement cette liberté d’action dont dispose la philanthropie, mais aussi sa capacité à prendre des risques.

La philanthropie peut contribuer à financer de facto une forme de R&D de l'intérêt général de manière beaucoup plus réactive que ce dont la puissance publique est capable. La question est de savoir si elle est suffisamment organisée pour être innovante, parce que la philanthropie la plus instituée, par définition, se recrée des process et des lourdeurs, et au passage elle peut perdre en réactivité. Il y a là un vrai enjeu, car elle doit être aussi efficace que possible.

Comment selon vous la philanthropie peut-elle faire pour renforcer l’efficacité de ses actions ?

En menant un travail de réflexivité, et en réfléchissant à cette notion d’efficacité. C’est le principe de l’Effective Philanthropy. Les réflexions actuelles autour de la notion de changement systémique, portées notamment par Ashoka et le collectif « Racines », s’inscrivent dans ce même travail de réflexivité : peut-on se contenter de corriger les conséquences des problèmes, ou devons-nous agir sur leurs causes profondes ? Dans le domaine de la santé par exemple, mieux vaut prévenir que guérir, et un euro investi dans la prévention est toujours plus efficace qu'un euro investi dans les pratiques thérapeutiques, même s’il reste nécessaire de soigner les malades. Donc assez spontanément, on donne plus d’argent à la thérapie qu'à la prévention. Mais quelle est la meilleure manière d'avoir de l'impact ? Comment financer des projets sur le temps long en s’attaquant aux racines des problèmes ? Cela nécessite, comme le démontre le rapport publié par Ashoka à ce sujet, du temps long, de la co-construction et de l'accompagnement.

Quels sont les grands enjeux actuels et à venir de la philanthropie ?

La philanthropie doit concilier agilité, réflexivité et capacité à évaluer les choses. Elle doit être capable d'utiliser l'intelligence artificielle, de prototyper ses propres méthodes, ses propres outils, de les évaluer et de les justifier, afin de donner davantage de poids et d’autonomie à son action.

La philanthropie a tout à gagner à développer des méthodes de type R&D, et c’est certainement ce méta-sujet qui lui manque aujourd’hui pour comprendre d'où elle vient, où elle est, où elle va. Plus cette démarche sera ouverte, s'appuiera sur la recherche, sur l'intelligence artificielle et l'intelligence humaine, plus elle sera menée en co-construction avec l'ensemble des acteurs – y compris les plus jeunes –, plus elle sera légitime et aura de l’impact.

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