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Hadrien Riffaut : « la solitude est un phénomène sociétal »

20 janvier 2023

Hadrien RiffautA l’occasion de la Journée des Solitudes, Hadrien Riffaut, chercheur-associé au CERLIS* et co-auteur de l’Etude Solitudes 2022, analyse et éclaire pour nous les résultats de l’étude sur les fragilités relationnelles des Français.

L’isolement relationnel recule fortement en France en 2022. Il concerne 11 % de la population. Peut-on parler d’un retour à la situation d’avant-Covid ou la comparaison n’est pas pertinente ?

Effectivement on revient aux chiffres d’avant la crise, où l’on était aux alentours de 10 à 12 %, c’est donc un retour à la normale. Pour autant, cette tendance mériterait d’être consolidée avec les données de 2022, année où ont été levées toutes les contraintes liées à la crise sanitaire.

Ce qui est sûr, c’est que le Covid a profondément bouleversé le rapport des individus à la vie sociale, qui s’articule davantage aujourd’hui autour des liens de proximité, avec les voisins ou la famille. La crise a aussi eu pour effets de renforcer la solitude des personnes déjà exposées et de révéler des situations d’isolement méconnues ou sous estimées. Des personnes plutôt intégrées socialement, comme les mères célibataires par exemple, ont été fortement impactées par le manque d’aide ou de soutien.

Le rapport déterminant entre précarité et isolement social perdure. Comment expliquer ce phénomène ?

Précarité et solitude sont deux situations qui se nourrissent et c’est bien là toute la complexité.  Manquer de ressources sociales ou de réseaux professionnels réduit les capacités des personnes à rebondir et aller de l’avant en cas de coup dur, c’est le fameux capital social de Bourdieu. Toutes les études qui s’intéressent à ce sujet montrent très bien qu’on peut basculer dans une précarité relative ou extrême parce qu’on ne bénéficie pas de réseau ou de ressources sociales. Et inversement, la précarité génère de la honte, du repli sur soi qui empêchent d’aller vers l’autre ou de demander de l’aide. Il y a là un cercle vicieux qu’il convient de déconstruire par un accompagnement large des personnes, qui s’attache autant à la reprise d’activité qu’à la réactivation des liens. 

 Quels sont les autres facteurs qui conduisent à l’isolement ?

 Les causes qui mènent à l’isolement sont multiples mais on distingue deux types de facteurs déclencheurs : ceux d’ordre structurel comme la perte d’un emploi, la perte d’un conjoint, la retraite, le divorce et ceux d’ordre individuel, plus subjectifs, par exemple si la personne traverse une crise existentielle, est en quête de sens, ou éprouve un besoin de se recentrer…

Les stéréotypes liés aux personnes isolées sont devenus obsolètes, la solitude est plurielle. Si le portrait-robot de la personne isolée reste celui d’une femme plutôt âgée, peu diplômée et ne disposant que de faibles revenus, l’âge n’est plus un marqueur déterminant. On voit par exemple de plus en plus de jeunes en situation objective d’isolement, même s’ils n’osent pas s’auto déclarer ainsi. De même, on a souvent tendance à penser la ruralité comme lieu de l’enclavement alors que la solitude s’exprime davantage dans les grandes villes, où il y a plus d’anonymat et moins de liens de proximité.   

L’étude met en avant deux nouvelles mesures plus subjectives : le sentiment de solitude et la souffrance qui l’accompagne. Pourquoi avoir ajouté ces dimensions plus intimes et que nous apprennent-elles ?

 Nous avons voulu sortir de l’approche strictement quantitative du phénomène des solitudes, pour évoquer la dimension subjective, souvent plus complexe. Car la solitude dépend à la fois de données structurelles et du regard que les gens portent sur leur situation.  En s’intéressant au vécu des personnes concernées, on se rend compte que l’isolement social n’est pas forcément vécu comme tel. Certains jeunes par exemple peuvent se sentir très reliés par leurs pratiques des réseaux sociaux alors qu’objectivement leurs interactions sociales sont très faibles dans la vie réelle. Autre enseignement, le repli sur soi peut être un choix positif, en dépit de la pression de la société qui survalorise le fait d’avoir beaucoup de relations sociales.

Certains ont fait le choix d’une vie solitaire à la campagne pour fuir le trop-plein de la ville et se ressourcer dans les solidarités de proximité. De la même façon, l’isolement peut être vécu comme une étape bénéfique et même nécessaire à un changement de vie où à la prise d’autonomie. Je pense en particulier aux personnes qui ont vécu dans une grande promiscuité, au sein de foyers d’hébergement, de prisons et pour qui se couper des autres et disposer d’un espace à soi est essentiel pour s’émanciper du groupe et s’inventer une nouvelle vie.

L’isolement social comprend une multiplicité de situations, comment construire un accompagnement plus adapté des personnes, qui prenne en compte toutes ces dimensions ?

 Les professionnels que nous avons interrogés ont tous insisté sur l’importance de l’écoute sans jugement des personnes, pour mieux comprendre leurs besoins et leurs attentes et ainsi mettre en place un accompagnement qui soit personnalisé. Parce que la solitude n’a rien de monolithique, la prise en compte des singularités des parcours et des profils est essentielle.

Un autre point à améliorer serait la capacité à toucher des publics éloignés des structures d’aides, ceux qui souffrent d’isolement mais n’osent pas franchir le seuil d’une association par peur d’être stigmatisés. C’est un vaste chantier qui implique à la fois un changement de regard sur la solitude, qui ne doit plus être perçue comme une honte, et le décloisonnement du monde associatif, qui reste souvent focalisé sur des publics spécifiques, ce qui éloigne des personnes qui sans être coupées du monde peuvent se sentir seules.

Une autre piste serait d’impliquer davantage l’entourage des personnes comme les amis, voisins, professeurs, collègues ou acteurs sociaux grâce à des campagnes plus larges de sensibilisation à la solitude pour que chacun se sente responsable du maintien du lien social et soit vigilant aux signes éventuels de solitude. Cette attention collective pourrait permettre de mieux repérer les premiers signes d’isolement et d’orienter les personnes vers les structures d’aide en cas de besoin.

En quoi est-il important de renverser le rapport aidant-aidé, souvent stigmatisant pour les personnes en situation d’exclusion, pour renforcer leur pouvoir d’agir ?

Permettre aux personnes exclues de participer activement à leur insertion est essentiel. C’est même une condition de réussite de tous les dispositifs proposés. Cette volonté d’impliquer les personnes dans leur parcours d’accompagnement est très présente dans les programmes de réinsertion sociale et donne de très bons résultats.  Toutes les personnes interrogées disent combien c’est important pour elles de prendre part au dispositif qui les concerne, et de se sentir acteur plutôt qu’usager ou bénéficiaire. Cette implication renforce les personnes en leur redonnant les capacités d’aider à leur tour. Je donne, je reçois, je rends : c’est un cercle vertueux. Cette approche est au cœur de l’action d’associations comme Point d’eau ou les Petites cantines qui toutes deux misent sur la participation de personnes exclues ou vulnérables pour aider d’autres personnes en difficulté et recréer du lien social. Les personnes n’ont pas l’impression d’être redevables, de ne servir à rien, elles retrouvent une vraie place dans la société.

 Parler de solitude est encore tabou et vecteur de honte : autant de freins qui dissuadent les personnes isolées de demander de l’aide. Comment traiter de la solitude sans prendre le risque de stigmatiser et donc d’isoler davantage ?

Il est nécessaire de changer les représentations associées à la solitude pour que des publics isolés, qui ne se reconnaissent pas dans les campagnes de sensibilisation, osent demander de l’aide. Toute une partie de la population, en perte de liens sociaux mais pas nécessairement en marge de la société, pourrait ainsi sortir du tabou et se sentir plus légitime pour solliciter le soutien d’une association.

Il y a aussi un changement de regard à opérer pour faire comprendre que la solitude n’est pas un problème personnel mais un phénomène sociétal qui peut concerner tout le monde, à tous les âges de la vie. En ayant un nouveau rapport décomplexé à la solitude et en l’intégrant comme une étape possible de notre parcours, il sera plus facile d’en parler et de se faire aider.

(*) Centre de recherche sur les liens sociaux, laboratoire de l'université de Paris, de l'université Sorbonne Nouvelle et du CNRS.$