Pr Nicolas Franck : « La crise remet les enjeux de santé mentale sur le devant de la scène ! »
Changement de rythme, actualité anxiogène, distanciation sociale et isolement… La crise sanitaire a fortement dégradé l’état de santé mentale des Français en mettant en lumière cet enjeu de santé de publique. Cette crise serait-elle alors, aussi l’occasion de réhabiliter la santé mentale dans notre société ? C’est le point de vue du Professeur Nicolas Franck, chef du pôle centre rive gauche au Centre hospitalier Le Vinatier à Bron, dans la métropole de Lyon.
Quel est l’état de santé mentale des Français ?
Depuis début 2020, la santé mentale de la population est altérée du fait de la pandémie qui nous frappe et a pris des proportions de catastrophe mondiale. Tout le monde a peur du virus, le quotidien a été bouleversé par les mesures de confinement et de distanciation sociale prises pour lutter contre la contagion. Les masques empêchent de se voir, on n’a pas le droit de se toucher, il est difficile de se projeter dans le temps, de se déplacer librement… Cette situation de perte de liberté a entraîné du stress, de l’anxiété.
Or nous ne sommes pas égaux face à ce stress : moins on est armés, moins on a de ressources, plus cela est difficile à supporter. Il y a bien sûr des seuils qui séparent le bien-être du mal-être et du mal-être à un trouble constitué - c’est-à-dire à une pathologie caractérisée : anxiété, dépression, troubles du comportement, schizophrénie, bipolarité… Globalement, une personne sur quatre est affectée par une souffrance psychologique en ce moment.
La santé mentale devient-elle enfin un enjeu de santé publique ?
Jusqu’à la crise sanitaire, la santé mentale n’était pas perçue comme un enjeu majeur. Le sujet s’est imposé au fil de l’épidémie, c’est un effet collatéral de la crise. On a compris que la santé mentale est un capital qu’il faut préserver, dont il faut prendre soin. A l’hôpital, j’ai observé l’arrivée de patients qui n’avaient jamais consulté jusque-là. Il y a plus de dépression, de troubles anxieux, un mal-être généralisé, alors que nous sommes confrontés à une crise majeure des effectifs (moins de psychiatres et moins d’infirmiers en particulier). C’est d’autant plus préoccupant qu’aucune date de sortie de crise n’est prévisible.
Quelle est la situation en Auvergne-Rhône-Alpes ?
Elle est sensiblement la même que dans le reste de la France. Le principal hôpital psychiatrique de la région est le centre hospitalier du Vinatier qui transforme actuellement ses pratiques de manière massive. Par exemple, nous développons des procédures innovantes permettant de ne pas recourir à l’enfermement contraint. Ou encore des équipes mobiles pour créer du lien, limiter les ruptures de parcours et accompagner le patient dans son adaptation à son lieu de vie. Et nous voulons proposer à tous les usagers des prises en charges orientées vers leur rétablissement, en étant à l’écoute de leurs besoins et en favorisant leur pouvoir d’agir. Sur l’ensemble de la région, de nombreuses initiatives impliquant des personnes concernées par des troubles mentaux ont permis une évolution très positive des prises en charge. Notre territoire est un véritable laboratoire du rétablissement en santé mentale.
En chiffres
Selon une enquête de Santé Publique France menée fin septembre 2021, 16 % des Français montrent des signes d’un état dépressif (+ 6 points par rapport au niveau hors épidémie), 26 % des Français montrent des signes d’un état anxieux (+ 12 points par rapport au niveau hors épidémie), 70 % des Français déclarent des problèmes de sommeil au cours des 8 derniers jours et 10 % des Français ont eu des pensées suicidaires au cours de l’année.
En Auvergne-Rhône-Alpes, selon l’étude CoviPrev portée par Santé publique France, près de 25 % des adultes interrogées présentaient un trouble anxieux à l’été 2021, 16,3 % des troubles dépressifs et 7 % des pensées suicidaires.
Vous avez participé à la première édition des Ateliers du rétablissement en santé mentale le 18 novembre dernier à Lyon. Quelles pratiques ont fait leurs preuves ?
Il y a divers soins de réhabilitation psychosociale comme la psychoéducation, la remédiation cognitive, la thérapie narrative, la pair-aidance – c’est-à-dire l’accompagnement d’un malade par une personne qui a souffert de troubles psychiques, s’est rétablie et s’est formée pour aider les autres. En s’appuyant sur les compétences préservées malgré la maladie, ces outils permettent de renforcer les capacités de la personne, pour qu’elle reprenne le contrôle de sa destinée et réussisse ses projets de vie. Il faut à la fois changer l’image des maladies mentales dans la population, mais aussi combattre l’auto-stigmatisation des malades. Car ils demeurent des personnes, qui ne se réduisent pas à leur maladie.
La Fondation de France Centre-Est mobilisée sur les enjeux de santé mentale sur son territoire
Grâce à son ancrage local, la Fondation de France Centre-Est déploie plusieurs projets dans le champ de la santé mentale. Elle a ainsi organisé en 2018 l’édition lyonnaise des ateliers Parlons psy. Et accueilli en 2021 la première édition des Ateliers du rétablissement, en association avec Santé Mentale France.
En 2020, elle a soutenu plus de 40 initiatives sur le territoire avec deux priorités :
- répondre en urgence aux enjeux de santé mentale sur le territoire pour éviter les hospitalisations, maintenir les liens sociaux à distance, et accompagner les soignants et les aidants
- faire avancer la recherche, faire évoluer les modes de prise en charge et faire changer le regard sur ces maladies à l’échelle locale.
En 2020 durant la crise Covid, la Fondation de France Centre Est a soutenu plus de 30 initiatives complémentaires sur la région.